Présidentielles 2022 : Aux urnes citoyens ?

Présidentielles 2022 : Aux urnes citoyens ?

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Être citoyen, c’est aller voter. Or, les électeurs boudent les urnes. Demeurent-ils des citoyens à part entière ? Comment réinventer l’acte citoyen ?

Quand on leur demande pourquoi ils ne vont pas voter, jeunes et moins jeunes ont des réponses diverses et variées. Il y a ceux qui reconnaissent “ne pas se sentir concerné” ou “ne rien y comprendre”, ceux qui estiment que gauche, droite, centre, au final rien ne change” ou qu’ils iront “seulement si un proche le demande”.Tous les mêmes !” donc et, élection après élection, ce même gouffre qui se creuse toujours davantage entre les Français et leurs représentants. Dernier record en date ? Les régionales et les départementales. Plus de 66% des Français ont, en effet, boudé le scrutin du 20 juin 2021, un score qui grimpe même à 87% chez les 18-24 ans. 

Mais, l’abstention n’épargne aucune élection. En témoigne, le taux de 58,4% atteint aux dernières municipales, pourtant appréciées des Français. Elle interroge surtout la légitimité des élus. Ainsi, le collectif non-partisan Démocratie ouverte a fait le calcul : en prenant le nombre de personnes en âge de voter, moins les non-inscrits et les abstentionnistes, les Présidents de région auraient été élus par 6 à 13% de la population ! De quoi remettre en cause le principe majoritaire sur lequel reposent nos démocraties représentatives. Quant à la campagne présidentielle qui s’annonce ? Beaucoup craignent qu’elle ne ravive des rancœurs et des fractures déjà vives. Les partis traditionnels se déchirent sur le choix du meilleur aspirant. Pendant ce temps, les médias évoquent la candidature probable d’un certain polémiste, oubliant au passage de rappeler que le terme vient du grec πόλεμος qui signifie « guerre » …  

La société du clash

Car, plus insidieuse encore que le déficit démocratique est la crise du raisonnement politique citoyen. L’heure n’est, en effet, plus à la discussion mais à la polarisation du débat, au complotisme et la désinformation. Bien sûr, la joute oratoire appartient pleinement à notre culture politique. Toutefois, plus question désormais d’être d’accord d’être en désaccord. Ce principe d’entente minimum cède peu à peu la place à la culture du clash qui trouve dans les nouvelles technologies une caisse de résonance puissante. Internet et les réseaux sociaux amplifient les biais cognitifs. Ils anesthésient la capacité de questionnement des héritages idéologiques et rendent, ce faisant, la faillite cognitive plus profonde. Comment, dans un tel vacarme, entendre la voix des citoyens ? Comment souhaiter leur donner davantage la parole ?

Pourtant, le débat public n’est pas condamné à être clivant par nature. Et cela, des expériences démocratiques récentes l’ont parfaitement démontré. Un exemple parmi d’autres ? Le Grand débat national qui, s’il n’a pas fonctionné parfaitement, a eu le mérite de faire émerger des consensus sur un grand nombre de thèmes. Frank Escoubès et Gilles Proriol, deux artisans du Grand débat, proposent ainsi d’en finir avec les programmes politiques “chimiquement purs” dans lesquels aucun Français ne se retrouvent puisque nous sommes tous parcourus de contradictions multiples*. La solution ? Assumer que la France soit “authentiquement transpartisane” en instaurant un vote au “jugement majoritaire”. Celui-ci, parce qu’il permet de s’exprimer sur tous les candidats en leur attribuant des appréciations, fait ressortir les candidats les moins clivants.

Agir autrement

Ces expérimentations donnent à penser que le réenchantement démocratique passera par l’innovation plutôt que par la contrainte. Pourquoi, en effet, ne pas acter enfin que l’acte citoyen ne se limite pas uniquement au vote ? Le rendre obligatoire ne permettra jamais de tenir compte de ce “type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire” qu’est aussi la démocratie. À l’inverse, les conventions citoyennes et autres dispositifs participatifs véhiculent ce “code moral” déjà repéré en son temps par Pierre Mendès-France.  Ils renvoient aussi au statut juridique du citoyen qui, en tant que statut de liberté, laisse le citoyen libre de choisir de participer (citoyen actif) ou non (citoyen passif) à la vie publique.

Parfois, ne pas participer c’est au contraire inscrire pleinement sa décision “dans le jeu” politique. L’abstentionnisme “dans le jeu”, identifiée par la politologue Anne Muxel, participe “d’une insatisfaction face à l’offre électorale proposée”. Avec le vote et la manifestation, elle ouvre un autre répertoire d’action. Mais, aujourd’hui, tout peut potentiellement se transformer en acte citoyen : manger, s’habiller, se vacciner ou acheter à plusieurs une maison dans le Perche ! Les huit membres du collectif des Quatre Vents se sont ainsi constitués en société par action simplifiée. Pour toutes les décisions concernant l’éco-lieu, une personne égale une voix. Peu importe l’apport de chacun. 

Élargir l’acte citoyen

La remise en cause d’une société devenue trop inégalitaire rassemble ces citoyens qui ont décidé d’agir et de s’engager autrement. Autres points communs ? Tous montrent du doigt l’accélération du monde qui nous fait comme perdre les pédales et qui rend caduque l’espace entre les différentes échéances électorales. Plutôt que d’attendre cinq ans, ils choisissent d’ancrer leur acte citoyen dans le collectif. Comme si, finalement, l’alignement avec ses convictions ne pouvait se découvrir que dans le groupe.

D’où l’importance peut-être d’élargir l’acte citoyen à d’autres modalités mais également à d’autres temporalités, d’autres lieux, d’autres acteurs. Il pourrait s’agir ainsi de mettre le citoyen au contact de questions d’intérêt général et ce, à plusieurs moments de son existence. Cette forme permanente de démocratie permettrait véritablement de faire passer l’acte citoyen au 21ème siècle. Elle s’exercerait bien sûr dès l’école puis se poursuivrait dans les associations, les tiers-lieux ou encore les conventions. Quant aux parties prenantes ? Multiples, elles œuvreraient tout au long de ce parcours à trouver un équilibre entre l’acte citoyen, le ressenti citoyen et la réflexion citoyenne. 

Ces axes du faire, de l’être et du savoir sont bien connus des médiateurs professionnels qui proposent de voir les choses différemment, de rétablir la confiance pour ne pas laisser pourrir les choses**. La rupture entre n’est pas nécessairement une fatalité. Il s’agit surtout de sortir de la défiance. Ainsi en confiance, représentants et représentés pourront alors décider en toute liberté de reprendre la relation, de l’aménager ou, le cas échéant, de la rompre d’un commun accord… pour mieux réinventer l’acte citoyen ?

Marianne Fougère
Plume vagabonde et indépendante

 

 

* Frank Escoubès, Gilles Proriol, La démocratie, autrement. L’art de gouverner avec les citoyens, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2021.

** Fabien Éon, J’ai décidé de faire confiance, Paris, Eyrolles, 2015.