Vous n’entrez dans aucune case ? Quelle excellente nouvelle !

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Les cases que nous créons de toutes pièces ont les défauts de leurs qualités. Sortir du cadre est donc le meilleur moyen de limiter les angles morts !

Amis, collègues, conjoints, clients, concurrents, métiers : nous passons nos vies à tout ranger dans des cases. Nous nous assurons de sécuriser la plus banale des situations que nous rencontrons. Nous donnons un cadre à nos enfants. Nous régulons le moindre usage. Nous allons même jusqu’à “fixer” nos propres corps… de peur peut-être qu’ils ne dépassent. Qu’ils n’entrent plus dans le moule. Et sans doute avons-nous quelques bonnes raisons de ranger toutes ces choses dans des tiroirs. De jouer avec nos proches comme d’autres avec des poupées russes.

Le problème ? Ces catégories ne sont pas si… catégoriques ! Elles sont au mieux structurantes mais deviennent, à peine fixées, déjà obsolètes. Aussi, au lieu de nous aider à décrypter le monde, les cases que nous produisons à la chaîne brouillent notre rapport à la réalité. Pire, elles participent à la fracturation de notre société et au ressentiment de personnes frustrées de ne pas correspondre à une normalité qui, justement, de normalité n’a que le nom.

Manquer d’une case

Cette peur de ce qui n’entre pas dans les cadres ne date pas d’hier. Prenons, par exemple, la figure du centaure. Certains d’entre nous verront peut-être en lui un cheval. D’autre un être humain. Or, le centaure n’est rien de tout ça. Ou plutôt il est tout cela à la fois ! “Le centaure est un être double, ni totalement cheval ni totalement être humain, mais à la fois homme et cheval1. Le centaure n’entre dans aucune case. Ou plutôt il nécessite une case inédite, “qui ne serait ni la fusion, ni l’addition des cases ‘cheval’ et ‘homme’, mais une troisième case, tierce, toute neuve1.

Les Grecs craignaient le centaure, qu’ils associaient au brutal, au monstrueux. Pourtant, devant cette inquiétante réalité, ils n’ont pas choisi de fuir. Ils ont fait l’effort de l’incarner. Ils ont eu le courage d’inventer, spécialement pour elle, une nouvelle case. Or, c’est précisément ce à quoi nous nous soustrayons régulièrement. Parfaitement ! Même lorsque nous nous targuons de pratiquer le travail hybride. Dans de nombreuses organisations, en effet, ce dernier se résume bien souvent à répartir le temps de travail dans deux grandes cases. Mais c’est faire fausse route que de réduire le travail hybride à une alternance présentiel/distanciel. Il invite bien plutôt à imaginer une “tierce manière de travailler1, pour reprendre la jolie expression de Gabrielle Halpern.

Sortir du cadre

Dans le vibrant Éloge qu’elle lui consacre, la philosophe explique que l’hybridation repose sur des principes d’altérité, de contradiction et de tiers inclus. Elle présente surtout l’hybridation comme une manière de “penser autrement1. Sans pour autant tomber dans la vaine innovation, le relativisme ou la fracturation. Sans pour autant renoncer à la mise en place de tout cadre. Faire travailler ensemble jeunes startups et grands groupes, faire cohabiter crèches et maisons de retraite, faire se rencontrer art et gastronomie, demande de réfléchir à un terrain commun d’entente. Mais cela demande du temps… et de l’énergie. Tant il est ardu de définir les conditions de possibilité d’une co-conception, d’un co-développement, d’une copropriété intellectuelle. Tant l’hybridation nous encourage à réinterroger la notion de cadre.

Qu’est-ce qu’un cadre ? Pour certains d’entre nous, le cadre présente un côté rassurant. Pour d’autres, au contraire, il rime forcément avec contrainte et entrave à la liberté. D’une image à l’autre, le terme évoque l’encadrement d’une œuvre. Le cadre a alors pour fonction de valoriser l’œuvre. Au service de la relation que cette dernière entretient avec le spectateur, le cadre ne doit pas la figer ni l’étouffer. Il doit se montrer discret, respectueux de l’œuvre, la protéger tout en permettant son déplacement. Mais si le cadre est un support indispensable, presque contraignant, il permet aussi d’imaginer ce qui se situe au-delà du cadre. Ce qui n’entre pas dans les cases. Aussi, n’hésitons pas, s’il le faut, à recadrer les personnes, à recentrer le débat. Mais n’ayons pas peur non plus d’associer à nos projets des cadres plus flexibles, plus lâches. Osons questionner le cadre de notre travail. Adaptons, au besoin, le cadre de nos interventions. Et, surtout, sortons dès que nous le pouvons du cadre !

Marianne Fougère

Plume vagabonde et indépendante

1 Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l’hybridation, Paris, Éditions Le Pommier, 2020.