Désespérés de tous les pays unissez-vous : l’espérance existe !

Désespérés de tous les pays unissez-vous : l’espérance existe !

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Désespérés les Français ? Pessimistes et insatisfaits en tout cas. Un défaut ? Une qualité plutôt qui les rendra peut-être même plus enclins à l’espérance.

Chaque année, la même rengaine. Les beaux jours reviennent, se rallongent et accueillent le chant des oiseaux. Avec les bourgeons fleurissent également tout un tas d’enquêtes mesurant les niveaux de bien-être et de bonheur. Sans surprise, et comme chaque année, la France ne figure pas dans le top 3 des pays dans lesquels la population se déclare la plus heureuse. En tête du classement ? La Finlande, suivie de près par le Danemark et l’Islande. Quant à nous, nous rétrogradons de place. Pire, cette année, nous sortons du club des 20 peuples les plus heureux¹.

En réalité, l’édition 2023 du World Happiness Report ne vient que confirmer ce que l’on savait déjà : les Français sont d’éternels pessimistes. L’évaluation que nous faisons de ce que nous allons vivre dans les années à venir est quasiment systématiquement plus négative que l’appréciation que nous avons de notre situation actuelle. Sans parler des perspectives, sombres de chez sombres, que nous prédisons aux prochaines générations²

Moral en berne

Bien sûr, tous les Français ne broient pas du noir ou, du moins, pas autant. En témoigne l’enquête trimestrielle conduite par l’Observatoire du bien-être. Ainsi, “seule” une petite moitié des répondants sélectionne une réponse plus faible sur l’évaluation des perspectives à venir. Ils sont 39 % à choisir la même note et même 14 % à parier sur une évaluation supérieure2. Les plus diplômés se montrent également plus optimistes quant à ce qui attend les prochaines générations. Ces dernières ont d’ailleurs, mécaniquement, une vision plus positive de l’avenir que leurs aînés qui doivent affronter, et si possible avec lucidité, les conséquences certaines du vieillissement. Un effet de génération toutefois gommé sur une échelle temporelle plus longue. 

Dans ces conditions, comment construire le récit d’un avenir collectif désirable ? Un exercice de pensée plus difficile encore dans le contexte du changement climatique qui renforce le biais pessimiste des Français. 67 % d’entre eux considèrent, en effet, souffrir d’éco-anxiété. Un cinquième des 25-34 ans estiment même que les éco-émotions ont un impact considérable sur leur santé mentale. Des chiffres qui érigent un peu plus l’anxiété, qu’elle soit écologique ou non, en mal du siècle³

De bonnes raisons de désespérer

Et pourtant, nous aurions tort de sombrer dans le désespoir. Ou, en tout cas, de nous y enfermer. Cela ne doit pas pour autant nous encourager à nous jeter dans les bras des chantres de la pensée positive. Méfions-nous aussi de l’optimisme béat qui masque un déni, qui nous fait croire naïvement que l’on détient les solutions à tous nos problèmes et difficultés. L’espoir ? Il est quant à lui une projection, “un désespoir qui s’ignore” car traduisant encore la volonté d’une maîtrise du devenir. “C’est pourquoi il est inséparable de la peur d’échouer ou de manquer ; il s’accompagne d’une crispation qui trahit un manque d’amour de soi et du monde4

À ces fausses bonnes idées, Corine Pelluchon préfère l’espérance. Pour la philosophe, l’espérance implique de voir la réalité en face. Elle désigne, surtout, “la capacité à saisir dans le chaos du présent les signes de quelque chose qui n’est pas complètement là mais qui peut être annoncé, et est en germe4. L’espérance nous tombe dessus sans crier gare. Quand on s’y attend le moins, quand on pense que tout est foutu. “Elle est l’inespéré4 qui nous pousse à agir malgré tout. C’est pourquoi, dans l’espérance, la faiblesse de l’enfant ne va pas sans la puissance de l’adulte. À ce dernier, l’espérance “emprunte le pouvoir de décision, la capacité d’agir4. Elle allie les forces de la vulnérabilité et du pragmatisme, de la persévérance et de la prudence. Car, si la fin nous est donnée, “à nous de trouver les moyens les plus adaptés pour que l’avenir à partir duquel les événements sont interprétés investisse le présent, oriente les choix, motive les êtres !” 

Halte au fatalisme

Si l’espérance est, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage de Corine Pelluchon, une “traversée de l’impossible”, elle nous invite à réfléchir aux liens que nous entretenons avec le monde, les animaux si chers à la philosophe mais également avec les êtres qui nous sont chers, aux relations qui nous unissent les uns aux autres. C’est en effet quand ces relations se distendent et parfois s’enveniment, quand on perd un proche, quand on abandonne toute volonté d’en découdre avec un manager méprisant que l’on ressent que ce qui reste justement c’est le lien, même ténu, au vivant et aux autres. Peut naître alors, “en dépit de tout, une volonté de retisser le lien

Il faut néanmoins du courage pour accepter la dégradation de la qualité de la relation et, surtout, pour renoncer à toute maîtrise, y compris celle de nos préjugés. Aussi, l’espérance peut-elle représenter un remède au fatalisme fonctionnel qui est à l’origine de tant de blocages, d’entêtements et d’interdits. Puisqu’elle exige la reconnaissance de notre vulnérabilité et nous fait grandir en liberté, l’espérance peut nous aider à déverrouiller notre pensée et nous empêcher de nous enfermer et, avec nous, les autres. C’est peut-être avec elle que nous pourrons non seulement “réparer le monde tout en combattant les récits simplificateurs4mais également œuvrer à instaurer les conditions de l’entente sans chercher de boucs émissaires, de coupables ou de responsables. 

Marianne Fougère

Plume vagabonde et indépendante

 

¹ John F. Helliwell et al. (eds.), World Happiness Report 2023, New York, Sustainable Development Solutions Network, 2023.

² CEPREMAP, Note de l’Observatoire du Bien-être n°2023-04, “Les Français ont-ils peur de l’avenir ?”, février 2023.

³ Sondage Ifop pour Qare réalisé du 27 au 29 juillet et du 10 au 12 août 2023 sur un échantillon de 2100 personnes représentatives de la population française, âgées de 15 ans et plus.

⁴ Corine Pelluchon, L’espérance, ou la traversée de l’impossible, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2023.