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Ce mois-ci, rencontre avec une sénatrice à l’engagement enraciné, nourri par l’expérience et le sens du compromis. Un échange franc sur ce que veut dire, concrètement, travailler pour l’intérêt général.
Vous avez un parcours singulier, à la croisée du terrain, de la fonction publique et du politique. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager ?
Marion Canales. J’ai grandi dans une famille où le geste citoyen comptait. Voter était un rituel. Petite, j’accompagnais mes parents au bureau de vote et au dépouillement. C’est une forme d’éducation civique qui marque et qui explique sans doute pourquoi j’ai demandé ma carte électorale dès mes 18 ans et n’ai, depuis, manqué aucun scrutin. Quant à mon engagement à proprement parlé, il s’est structuré progressivement. J’étais à la fac de droit de Clermont-Ferrand lors du choc du 21 avril 2002. Cela a été le déclencheur de mon engagement militant au PS. J’ai pris ma carte à ce moment-là mais c’est la campagne régionale (qui avait donné la parole aux jeunes) qui a ancré mon action locale.
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Je m'inscris !Comment êtes-vous passée de ce premier engagement à une trajectoire nationale ?
Après des expériences au sein de collectivités locales, j’ai eu l’opportunité de devenir assistante parlementaire au Sénat, puis cheffe de cabinet au ministère du Travail. Ce parcours m’a donné une vision concrète de la manière dont se fabriquent les politiques publiques. En 2017, après mon départ du gouvernement, j’ai connu une phase de retour à la vie “civile” : trois enfants en 5 ans, un passage par le chômage puis un poste au CHU de Clermont-Ferrand. Cela a renforcé ma conscience du réel et l’envie de m’investir différemment au local. Être sénatrice aujourd’hui, c’est l’aboutissement d’un parcours mêlant engagement, technicité mais aussi enracinement territorial.
« Une métropole ne se développe pas durablement si les territoires ruraux qui l’entourent sont délaissés »
Vous semblez très attachée à la question des territoires. Pourquoi est-ce un enjeu politique pour vous ?
Une métropole ne se développe pas durablement si les territoires ruraux qui l’entourent sont délaissés – et l’inverse est tout aussi vrai., pas de territoires ruraux dynamiques avec une métropole atone. Ces espaces ne doivent évidemment pas être pensés comme des mondes séparés voire antagonistes ! Il faut construire des ponts, renforcer ce que j’appelle les “pivots ruraux” par un maillage territorial en étoile qui permet de s’installer, de circuler, de coopérer, de mutualiser les synergies, d’intensifier la vie dans tous les territoires. En somme, ni engorger, ni déserter.
Dans ce contexte, le travail politique échappe-t-il aux clivages partisans ?
Sur beaucoup de sujets territoriaux, oui. Il n’y a pas d’étiquette pour défendre une desserte ferroviaire Paris-Clermont digne de ce nom, faire avancer un projet de RER métropolitain ou mettre l’action des missions locales au bénéfice des jeunes. Quand l’intérêt général est clair, le dogmatisme politique s’efface de lui-même. On ne peut pas tout justifier par l’appartenance politique. Ce serait une forme de renoncement. Et, de la même manière, il faut tordre de toutes nos forces l’idée de plus en plus populaire et surtout populiste qui consisterait à dire “les élus sont motivés par la quête de pouvoir ou d’argent”. La réélection n’est pas le but ultime d’un élu, il faut arrêter avec cette petite musique. Lorsque l’on est élu, l’objectif, c’est de faire ce qu’il faut. Par exemple, à la ville de Clermont, si notre équipe avait choisi de mettre “toutes les chances de son côté pour être réélue à tout prix”, elle n’aurait pas entrepris tous ces travaux pour plus de transports en commun, une meilleure gestion de l’eau et la mise à disposition d’une énergie locale et plus propre dans plusieurs quartiers. Ces travaux ont beaucoup embêté les gens, mais ne pas les faire aurait été une faute écologique sociale et démocratique.
« La réélection n’est pas le but ultime d’un élu, il faut arrêter avec cette petite musique. »
Mais ce pragmatisme n’est-il pas en tension avec la polarisation croissante du débat politique ?
Bien sûr qu’il y a une tension politique croissante en particulier à l’Assemblée. Mais elle ne doit pas tout empêcher. Le dialogue et le travail transpartisan ne sont pas antinomiques d’une ligne politique claire. Je suis une élue engagée, je défends mes idées. Mais je ne suis pas radicale. Je crois à l’importance du compromis, dès lors qu’il est au service du bien commun. C’est aussi une manière d’assumer son rôle d’élue : ne pas s’enfermer dans une posture, mais faire avancer les choses.
Comment éviter que ce souci du compromis ne conduise à une forme de confusion politique ?
C’est tout l’enjeu. Le compromis ne doit pas être perçu comme une compromission. Et ce n’est pas un gros mot d’avoir une orientation politique. Ce que je redoute aujourd’hui, c’est une forme de dépolitisation rampante : des élus locaux qui ne revendiquent plus aucune ligne, qui se disent “ni de droite ni de gauche”, qui n’affichent plus aucun projet de société. Cet effacement fragilise la démocratie et alimente le populisme. On peut être clair sur ce que l’on pense tout en gardant l’envie de coopérer. La clarté politique n’interdit ni le respect, ni le travail en commun. Et c’est précisément ce que permet encore un peu le Sénat.
« Le compromis ne doit pas être perçu comme une compromission. »
Un peu seulement ? Le Sénat n’est-il pas ce lieu propice au dialogue ?
J’aime à penser qu’il reste encore l’école du compromis. Parce qu’ils sont élus par des élus, qui connaissent eux-mêmes les contraintes du terrain et des arbitrages, les sénateurs ont un rapport au débat plus apaisé. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas de tensions, mais le compromis y est plus naturel. Je crois d’ailleurs beaucoup au sens des mots. C’est pourquoi, j’ai toujours préfèré parler de “minorité” plutôt que d’“opposition”, particulièrement lorsque j’étais élue minoritaire à Chamalières au tout début de mon engagement local, car cela laisse la porte ouverte au travail commun. Aujourd’hui le vrai problème en politique est probablement la surenchère médiatique qui parasite le fond et incite parfois les prises de position à l’emporte-pièce. Il faut avoir un avis sur tout et surtout un avis, tout le temps, très vite.
Une surenchère de laquelle le Sénat ne serait plus préservé ?
Disons que certaines dérives m’inquiètent. Notre chambre est régulièrement présentée comme une chambre de pondération, car souvent saisie en 2ème lecture et moins exposée à l’opinion publique de par son mode de scrutin. Or, depuis peu et de manière inédite, on assiste parfois à l’émergence de textes qui viennent fragiliser cette représentation pour moi pourtant essentielle. En effet, quand des propositions de loi sont défendues par des collègues qui savent pertinemment qu’elles sont inconstitutionnelles, juste pour envoyer « un signal » à la population, c’est une forme de détournement du rôle législatif et encore plus du Sénat d’après moi. Si le Sénat devient une caisse de résonance de postures dogmatiques, en faisant fi des impondérables constitutionnels, il perdra sa spécificité. C’est tout l’intérêt du bicamérisme à la française, le Sénat ne doit pas se défausser de ce rôle exigeant.
Propos recueillis par Marianne Fougère