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152 milliards. C’est ce que coûtent, chaque année, les petites tensions et confrontations plus musclées qui éclatent en entreprise. Vertigineux, l’impact financier des dissensions dans l’open space s’explique aisément quand on sait que deux salariés sur trois sont confrontés à la conflictualité au travail. 25 % le sont même de façon régulière, ce qui n’est pas sans effet sur la productivité. L’Observatoire du Coût des Conflits au travail* estime ainsi à trois heures par semaine le temps passé à composer avec de telles situations de conflit. Soit 20 jours par an et par collaborateur !
Autres conséquences ? Un niveau de motivation et d’engagement en baisse pour un tiers des répondants. Parmi eux, 32 % confient être touchés dans leur bien-être mental et psychique et 30 % aller jusqu’à éviter les collègues avec qui ils ne s’entendent plus. Sans compter les salariés affectés dans leur vie personnelle (27 %) ou, pire, en arrêt maladie (16 %) …
Rififi entre collègues
L’étude, réalisée conjointement par OpinionWay, All Leaders Initiative et Topics, a le mérite de donner du conflit au travail une vision micro, trop souvent négligée par les directions d’entreprise. Ces dernières, en effet, s’inquiètent davantage des grèves et des tensions syndicales que des irritants et autres tracasseries du quotidien. Binaire, cette approche manque cependant l’interrelation entre ces deux dimensions.
Or, qui joue le rôle de médiateur entre l’une et l’autre sinon le dialogue social ? Celui-ci influe sur l’émergence de conflits à l’une et l’autre échelle. Il facilite, ou empêche, les tensions de passer d’un niveau à l’autre, et inversement. On aurait donc pu s’attendre à ce que soit mesuré également l’impact de ces conflits sur la qualité du dialogue social. Et ce d’autant plus qu’en période de reflux épidémique, de retour du télétravail obligatoire, de polémiques autour du pass vaccinal, etc., le dialogue social risque bien d’en payer le prix fort. Une année de plus.
Dialogue sous pression
On ne peut pas dire, en effet, que les deux dernières l’aient particulièrement ménagé. La crise liée à la Covid-19 a bousculé les pratiques en matière de négociation, d’information et de consultation des instances représentatives du personnel (IRP). Avec l’éloignement et l’éclatement des collectifs de travail, tous les acteurs du dialogue social ont dû repenser leurs manières de faire. Les salles de réunion et les pauses cigarettes ont cédé la place aux liens de visioconférence et aux cellules de crise. Les IRP, et notamment dans les conseils économiques et sociaux (CSE), se sont réorganisées à grand renfort d’écrans, micros et caméras d’ordinateur.
Cette dématérialisation à marche forcée du dialogue social s’est montrée efficace pour répondre à la crise sanitaire. Facilité pour se réunir, efficacité des réunions, continuité du dialogue, meilleure écoute, prise de parole disciplinée : le distanciel a bien des arguments à faire valoir. Son plus grand avantage ? Offrir la possibilité de se concentrer exclusivement sur le fond des discussions, sur ce qui est dit. Car, avec lui, c’est aussi tout le “decorum” qui se virtualise. Les discussions informelles, pendant et en dehors des réunions, se raréfient au point de ne pas être aussi naturelles. La perte de ces “signaux faibles”, comme le pointe une enquête menée par la Fondation Jaurès, affecte la qualité des échanges, transformant de fait le e-dialogue social en vecteur de nouvelles tensions entre directions, représentants du personnel et organisations syndicales**.
Horizon 2022
Et les situations de crispation ne manquent pas en ce début d’année. Loin des yeux loin du cœur, les collectifs de travail sont surtout fracturés. Le télétravail divise cols blancs et cols bleus, la question écologique déchire seniors et juniors, la transformation numérique distingue “boomers” et “millenials”, la réforme des retraites oppose patronat et syndicats, les protocoles sanitaires scindent la population entre vaccinés et non-vaccinés, etc. Ajoutez à cela l’état d’épuisement généralisé après des mois et des mois de crise sanitaire, et vous obtiendrez une situation explosive. La moindre petite étincelle pourrait bien embraser les entreprises.
Dans un tel contexte, que souhaiter pour 2022 ? Concernant le dialogue social, plusieurs scénarios peuvent être envisagés. Année électorale, 2022 risque de voir le dialogue, sinon instrumentalisé, du moins politisé. La campagne présidentielle peut aussi avoir pour effet de rendre inaudibles les revendications des organisations syndicales et, avec elles, muet le dialogue social. Troisième et dernier scenario : la perspective, plus optimiste, d’un dialogue social apaisé.
Bonnes résolutions
L’un des mérites de la crise est d’avoir, en effet, montré le dialogue social sous un nouveau jour. Gestion de crise, signature d’accords de télétravail ou de performance collective : le dialogue social n’est pas à la source de tous les problèmes. Quoi qu’en pense l’imaginaire collectif français, il peut lui aussi être porteur de solutions. Et, face aux changements, aux révolutions technologiques et environnementales qui s’annoncent, c’est plutôt une excellente nouvelle !
Nous aurions tort, cependant, de nous réjouir trop vite. Les acteurs ne sont pas toujours suffisamment bien équipés pour ne pas cantonner le dialogue social aux seules situations de crise ou à la seule gestion de conflit. Face aux maux révélés par l’Observatoire du Coût des Conflits au travail, les personnes interrogées ne sont que 22 % à pouvoir bénéficier d’un accompagnement par des intervenants extérieurs en cas de difficultés. Moins d’une personne sur trois évoque la possibilité d’avoir accès à des formations en compétences relationnelles. D’où toute l’importance de mettre les fondamentaux de l’ingénierie relationnelle au service du dialogue social. L’enjeu ? Promouvoir l’altérité et la perfectibilité de chacun dans ses modes relationnels plutôt que de céder à l’habitude de la “gestion des conflits” et au fatalisme de l’adversité.
Car, si les conflits ne s’opposent pas à la performance – 75% des sondés portent un regard positif sur les résultats financiers, la réputation et la solidité de leur entreprise, l’entente et un dialogue social réussi sont eux aussi créateurs de valeur pour les organisations. En effet, la quête de sens au travail n’a jamais été aussi importante. Les salariés demandent de plus en plus à comprendre ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Ils veulent surtout pouvoir agir et influer sur les décisions qui les concernent. Ainsi, en ce début d’année, que souhaiter de plus aux entreprises, sinon un dialogue social en bonne santé ?!
Marianne Fougère
Plume vagabonde et indépendante
* Étude réalisée en ligne entre le 2 et le 20 septembre 2021 auprès d’un échantillon national représentatif de 974 salariés français, public et privé confondus.
** Fondation Jaurès, Observatoire du dialogue social, “E-dialogue social. Phénomène conjoncturel ou nouvelles pratiques durables ?”, octobre 2021.