Handicap : s’adapter à l’inadapté ?

Handicap : s’adapter à l’inadapté ?

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Avec son roman S’adapter, Clara Dupont-Monod nous invite à reconsidérer ces situations de “handicap” où il nous arrive à nous aussi de perdre l’équilibre.

S’adapter. Tel pourrait être le slogan d’un ou d’une candidat.e à l’élection présidentielle. En période de crise, mieux vaut en effet pouvoir compter sur ses capacités d’adaptation, individuelles comme collectives. Mais, à quelques encablures du prochain scrutin, nos politiques préfèrent insister sur la résilience de nos territoires ou la relance de notre économie. Certains, il est vrai, s’inquiètent du rebond épidémique et en appellent au sursaut national. D’autres font campagne sur le thème des retrouvailles, de la renaissance ou même du sauvetage. Mais s’adapter ? Très peu pour eux.

S’adapter, c’est pourtant ce qu’ont dû faire bien des entreprises, bien des commerçants, bien des collectivités, bien des familles, ces derniers mois. S’adapter, c’est ce que font chaque jour tous ceux frappés soudain par un évènement traumatique ou bouleversant. En effet, on ne dira jamais assez “l’agilité que développent ceux que la vie malmène, leur talent à trouver chaque fois un nouvel équilibre”. On ne dira jamais assez “les funambules que sont les éprouvés”. La littérature peut néanmoins tenter d’y remédier.

Fratrie Goncourt 

En témoigne le dernier livre de Clara Dupont-Monod. Avec S’adapter, la romancière signe un récit pudique et délicat sur la question du handicap.  Le roman, déjà multi-récompensé, explore avec une profonde justesse comment la trajectoire fugace d’un enfant handicapé va influer sur les autres membres de la famille ou, plutôt, sur le reste de la fratrie. Car, c’est là que réside la plus grande originalité du texte : donner la parole aux frères et sœur de cet enfant différent.

Ainsi, face à cet “être à mi-chemin, une erreur, coincée quelque part entre la naissance et le grand âge”, on retrouve l’aîné, la cadette et le petit dernier. Clara Dupont-Monod, qui a elle aussi partagé la courte vie d’un frère atteint d’encéphalopathie infantile, reconnaît avoir mis un peu d’elle dans chacun des personnages. Le “blessé” qui, dans sa relation fusionnelle avec l’enfant, s’abandonne et se perd. La “frondeuse” empêtrée dans la colère et le dégoût de celui par qui la fracture s’est immiscée. Le “sorcier” à qui échoit la lourde tâche de réparer, tout en vivant escorté d’un frère fantôme…

Famille je vous aime

“Tant d’impact pour quelqu’un d’inadapté”. Et si ce n’était pas plutôt lui le sorcier, se demande le petit dernier. Et si c’étaient eux les inadaptés, renchérit l’aîné. Comme dans un conte, les enfants s’adaptent, gagnant l’admiration des briques de la cour qui racontent. Les pierres, depuis leur immuable immobilité, nous invitent à réfléchir un instant à l’idée d’équilibre familial. Sous nos yeux, en effet, la fratrie se recompose et se réinvente tout le temps. L’aîné se comporte comme un adulte, la cadette prend la place de l’aîné et inversement. Sans doute ne la choisit-on pas, mais la famille n’est pas un monde figé. Un seul et même événement ne sera jamais vécu de la même façon par chacun des membres qui la constitue. Mais tous essaieront tant bien que mal de lui donner du sens.

Car, une famille, c’est là toute sa force et sa fragilité, se donne un sens. Grâce à lui, elle se définit et se projette dans l’avenir. Mais, dès que l’imprévu surgit et que le doute s’installe, elle vacille. Construire le sens n’a rien d’un long fleuve tranquille. Le déconstruire est tout aussi difficile. Le sens rassure. Il contribue à résister aux crises et à rebondir. Mais, si l’on ne parvient pas à le modifier dès que les circonstances l’exigent, il devient hasardeux. D’où toute l’importance de s’adapter plutôt que de faire preuve de résilience.

Le sens de l’équilibre

S’adapter cela induit de résister à la “pathologie de l’explication”, de ne pas rechercher le “pourquoi” pour ne pas risquer de “mourir de cette injustice, mourir de cet enfant qui avait tout changé”.  S’adapter c’est ce qui pousse, comme la cadette du roman de Clara Dupont-Monod, à embrasser le “comment” :  Comment avancer et construire ensemble ? Comment préserver la santé mentale et physique des autres membres de la famille ? Comment accepter ensemble les changements ? Comment préserver des relations de qualité ? Et les pierres d’observer la cadette apprendre “l’indifférence en étant dévorée de larmes, à jouer l’insouciante à table, à rester sourde dans la cour de l’école”. La frondeuse d’hier se transforme en stratège. Elle note tout dans son carnet, fait les courses et prépare les repas. “Épargner ces tâches à sa mère représentait dix minutes ou une heure de gagnées, un temps qui servirait à échanger avec elle, afin qu’elle réapprenne à parler”.

En somme, la cadette veille sur les siens. Elle s’adapte mais en sortant de sa zone de confort. Et l’enfant différent est ce qui permet d’emmener cette veille au-delà de ce qu’elle aurait pu seule imaginer. Sa différence invite à la créativité et même à la métamorphose. Elle rappelle qu’en cas de difficulté nous avons souvent tendance à nous adapter en essayant d’abord ce que l’on sait faire, à nous raccrocher à ce que l’on connaît. Comme l’enfant handicapé, les autres nous guident au contraire vers autre chose, vers une adaptation jusqu’ici insoupçonnée.

Aussi, l’altérité de l’enfant renvoie-t-elle à la posture du médiateur. Comme l’enfant différent permet le soutien, l’altérocentrage aide à la fixation d’une inimaginable attention. Il apporte un véritable soutien à la réflexion et à la prise de décision dans ces situations de “handicap” où il nous arrive à nous aussi de perdre l’équilibre. C’est un projet d’apprentissage à conduire au quotidien que la recherche de cet équilibre global et nécessaire à tout un chacun. Heureusement, des boîtes à outils relationnelles existent. Et Accords Médiations peut vous aider à constituer la vôtre.

 

Marianne Fougère

Plume vagabonde et indépendante

Clara Dupont-Monod, S’adapter, Prix Goncourt des lycéens 2021, Prix Fémina 2021, Prix Landerneau 2021, Paris, Stock, coll. La Bleue, 2021, 18,50 euros, 200 pages.