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Derrière l’anglicisme de quiet quitting se cache moins un cri d’alerte de salariés insatisfaits qu’un appel à retrouver le sens du dialogue et du silence.
Quiet quitting : difficile d’échapper au buzzword de la rentrée. Ce concept n’a pourtant pas attendu le retour au bureau pour émerger. Comme souvent, tout a commencé sur les réseaux sociaux. En 2021, le hashtag “tangping” (“rester allongé”) se répand à vitesse grand V sur TikTok. Avant d’être tout aussi rapidement censuré par les autorités chinoises qui, sans surprise, ne sauraient encourager un tel rejet des attentes liées à la productivité. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Mi-2022, le “mouvement” réapparaît outre-Atlantique sous le nom de #quietquitting. Avant de conquérir le monde. Plus un jour, en effet, ne passe sans que fleurissent les témoignages de salariés avouant ne faire que ce que leur travail exige d’eux. Ni plus ni moins que le minimum syndical. Ou, nuanceront certains, ni plus ni moins que ce qui est inscrit sur leur fiche de poste. Adieu donc, heures supplémentaires, coups de main aux collègues débordés et consultation des courriels le week-end.
En bon français, “quiet quitting” se traduit par “démission silencieuse”. Mais rien n’indique que ce phénomène ait, chez nous, quelque chose à voir avec la “Grande Démission”. Pas plus qu’il ne puisse être confondu avec le ghosting, cette pratique qui consiste à mettre un terme à une relation sans aucune forme d’explication. En revanche, tous ces néologismes et autres anglicismes font grand bruit. Ils donnent des sueurs froides aux cadres dirigeants et responsables RH. Un ramdam médiatique qui pourrait malgré tout taire l’essentiel…
Motivation en berne
Mais que cache le quiet quitting ? Une forme de désengagement ? C’est en tout cas ce que confirme une étude réalisée par l’institut de sondage américain Gallup*. D’après lui, plus de la moitié de la population active américaine serait peu engagée ou détachée psychologiquement de son travail. La part des salariés “fortement désengagés” aurait grimpé de 14 % en 2020 à 18 % en 2022. Plus inquiétante encore, la baisse de l’engagement général. Seuls 32 % des travailleurs américains se décrivent comme engagés et enthousiastes au travail contre 36 % en 2020. Un chiffre qui tombe à 14 % en Europe et qui, en France, ne dépasse pas… les 6 %.
D’où l’urgence de s’interroger collectivement sur ce qui nous motive à travailler ou nous pousse à fournir des efforts individuels au service d’un projet commun. Une question à laquelle les neurosciences peuvent, peut-être, nous donner des éléments de réponse. En effet, notre cerveau fonctionne à la récompense et, plus précisément, à la prédiction de l’obtention d’une récompense. Le problème ? Notre motivation ne dépend pas uniquement de la seule récompense attendue. À ce levier s’ajoute l’effort à fournir pour obtenir ladite récompense. Or, à l’ère du numérique, le coût cognitif du travail explose. Aussi, ne suffit-il plus d’augmenter récompense en monnaie sonnante et trébuchante pour booster la motivation des salariés. Encore faut-il changer les habitudes numériques comme les pratiques managériales.
Renouer le dialogue
Car les experts de Gallup sont formels. La “démission silencieuse” est, pour eux, l’un des signes qui montre qu’une certaine forme de management touche à ses limites. Le télétravail, il est vrai, a sans doute participé à distendre le lien naturel unissant le salarié à l’entreprise. Partiel ou total, il a surtout contribué à obstruer le canal de communication entre collaborateurs et managers. La solution ? Organiser des tête-à-tête avec chaque membre de l’équipe. Pas besoin de prévoir des réunions à rallonge. Par exemple, 15 à 30 minutes par semaine suffisent pour rompre le silence.
Impossible donc de renouer le dialogue sans évolution de la culture managériale. Ce qui suppose de tenir compte des besoins émotionnels des collaborateurs qui ne se résument pas au seul désir de reconnaissance. Confiance, empathie, étonnement, doute, frustration, perte de sens, etc. : tous ces besoins doivent avoir droit au chapitre. Les managers doivent ainsi apprendre à faire confiance a priori, à fédérer et développer plutôt que déléguer et contrôler. Comment ? En recourant davantage au feedback permanent ou, pour professionnaliser cette évolution, en se formant à l’ingénierie relationnelle.
Respecter un temps de silence
À moins que la première chose à faire soit d’abandonner toute posture de jugement et refuser tout court d’employer l’expression “démission silencieuse” ? Un grand nombre de salariés déplorent, en effet, la connotation négative du premier terme. Et on ne peut que leur donner raison. Après tout, faire ce pour quoi il est payé n’est-ce pas ce que patrons et managers attendent d’un salarié ? Le quiet quitting devrait donc constituer la normalité plutôt que d’être perçu exclusivement comme un appel au secours.
Et tant que l’on y est pourquoi ne pas aller plus loin et prendre la “démission silencieuse” au mot ? En lieu et place des bavardages autour d’elle, salariés et managers ne gagneraient-ils à profiter de ce silence voire à l’optimiser ? Car, si le silence est d’or, ce n’est pas uniquement parce qu’il permet de lever le pied. Il apporte surtout de la tranquillité et enjoint à prendre de la distance et de la hauteur. Aussi, cessons de nous emballer et concevons ce silence comme un investissement pour retrouver notre équilibre. Et pas seulement celui entre vie personnelle et vie professionnelle.
Marianne Fougère
Plume vagabonde et indépendante
* Gallup, “Is Quiet Quitting Real ?”, étude réalisée en juin 2022 sur un échantillon représentatif de la population active américaine âgée de 18 ans et plus.