L’art de la répétition ou comment apprendre autrement des erreurs

L’art de la répétition ou comment apprendre autrement des erreurs

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Alors que l’histoire semble tragiquement se répéter et si nous tentions de prendre du recul ? De quoi rebondir en tenant la répétition à bonne distance.

Never again”. Qui, au cours de sa scolarité, n’a jamais entendu cette expression ? Plus jamais de boucherie comme en 14-18, plus jamais de génocide comme celui perpétré à l’encontre des Juifs, plus jamais de guerre tout court. “Plus jamais ça” : un mantra que nos cours d’histoire n’ont donc cessé de rabâcher. Si bien que nous avions fini par penser que la guerre n’avait, sur le sol européen du moins, plus le droit de cité. Aussi, lorsqu’elle frappe à notre porte, nous avons du mal à y croire. Que provoque en nous la guerre qui se déroule en Ukraine ? Un sentiment de déjà-vu ? La crainte de voir, encore une fois, l’histoire se répéter ?

Mais si l’histoire bégaie, que dire des actualités ? Discours racistes, annonce d’une énième vague de Covid-19, attentats en Israël, interdiction faite aux Afghanes d’aller à l’école, etc. : les actualités, aux allures de marronniers, ne semblent désormais n’avoir d’actualités que le nom. Au point de nous épuiser voire de nous énerver. En effet, l’idée que toujours les mêmes phénomènes reviennent en boucle à quelque chose d’humiliant. Faut-il vraiment que nous soyons condamnés à revivre sans cesse les mêmes choses ? Et allons-nous le faire exactement de la même façon ? Jusqu’à reproduire les mêmes erreurs ?

Traité de la répétition

Mais si la répétition rôde, tel un fantôme, sur nos vies, elle a hanté bien avant nous les philosophes. Pour Schopenhauer, le temps se fout tout simplement de nous. Il parvient à faire passer des événements passés pour des nouveautés. Dupés, nous pensons agir librement, au sein d’un temps linéaire et régénérateur alors, qu’en réalité, le Vouloir ne fait que se répéter lui-même sans arrêt. En d’autres termes : là où nous croyons progresser, nous ne faisons que retomber ! Et Nietzsche de nous demander comment nous réagirions si “un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : ‘Cette vie, telle que tu la vis et l’as vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois’” ?  Angoissant n’est-ce pas ?!

Comment, en effet, vouloir revivre sans cesse des expériences douloureuses ? Avec héroïsme répondrait pourtant Nietzsche ! Car, pour supporter que notre existence ne soit plus pensée à partir de la relation du présent à l’avenir, il faut aimer le destin et dire un grand oui à la vie. Avec Nietzsche, on commence alors à comprendre pourquoi la répétition peut être, sinon voulue, du moins explorée. Ce à quoi Kierkegaard acquiescerait, le philosophe danois accordant un sens éthique à la répétition, celle-ci permettant au sujet de se réconcilier avec lui-même.

Ambiguïté de la répétition

Que de brillants philosophes appréhendent de manière aussi différente la répétition en dit long sur son ambiguïté. Si l’on en croit les dictionnaires, “répéter” c’est “redire”, “refaire”, “reproduire”. C’est vain, inefficace. La répétition a mauvaise presse puisque les journalistes doivent à tout prix éviter d’en commettre. Elle est donc, de manière générale, envisagée d’abord comme un défaut. Métro-boulot-dodo, fins de semaine, retours du lundi, lois des séries, cycles menstruels, etc. : nous ne détestons rien tant que la répétition. Et encore plus quand celle-ci devient à elle-même sa propre caricature à grands renforts de comptes à rebours, de manies ou de travers. Hors de la répétition ? Il n’y a rien. Et quand nous croyons y échapper, c’est pour mieux y replonger. Pensons au toxicomane qui pour s’extraire de la banale répétition du quotidien s’enferme dans l’addiction. Se condamnant par la même à répéter sans cesse les mêmes gestes…

Mais la répétition n’est pas que d’un ennui mortel. Que serions-nous sans répétition ? À quoi ressemblerait notre vie sans elle ? Ne cherchons-nous pas à nous asseoir confortablement dans des morning routines toutes plus irrationnelles les unes que les autres ? Ne recherchons-nous pas du réconfort auprès de séries qui reprennent à n’en plus finir les mêmes histoires ? Noël, Beaujolais nouveau, salaire mensuel, Oscars, Tour de France, etc. : ces rituels rythment nos vies. Et ce serait mentir que de dire que nous ne les attendons pas. Parfois, nous cherchons même à les anticiper voire à les précipiter. Signe que la répétition n’est pas que simple reproduction. Dans le fait même de répéter se cache une démarche, une action de notre part, comme le suggère l’étymologie latine, re petere c’est-à-dire “chercher pour reprendre”.

Répétition et création

 Mieux, la répétition c’est la vie. Prenons, par exemple, un nourrisson. Biberons, tapotes dans le dos, rots, bains, siestes, couches : sa vie est réglée comme du papier à musique. Elle est régulée non seulement par une infinité de rythmes à respecter mais également par une multitude de gestes à répéter. Des répétitions qui vont l’accompagner tout au long de sa croissance. Pourquoi ? Simplement parce que c’est en répétant que l’on apprend. Pensez-vous sinon que des générations de parents auraient accepté sans broncher de se ridiculiser à mimer inlassablement les mêmes comptines ?!

Répéter participe ainsi à la construction de notre identité. La preuve ? Les artistes que l’on reconnaît à leur style. Véritable marque de fabrique, le style naît de la répétition qui transforme la marque en “re-marquer” et, in fine, permet à l’artiste de se “démarquer”. Certains ont même fait œuvre de la répétition. Comme Ravel et son entêtant Boléro. Pendant dix-sept minutes, la caisse claire répète 169 fois le même motif ! On souffre avec celui ou celle qui doit tenir la mesure. Et pourtant, quel plaisir à l’écoute de ces 4 056 battements ! Qu’est-ce qui nous fascine autant ? Qu’attendons-nous à la énième répétition ? Espérons-nous entendre (enfin) quelque chose de différent ?

Apprendre de ses erreurs

On a beau le reconnaître entre tous, le Boléro ne nous saisit pas à chaque fois de la même façon. La réception que nous en faisons change en fonction du contexte, de notre humeur du jour, de nos compagnons d’écoute. Tantôt sur le mode mineur de l’écart, tantôt sur le mode majeur de l’évènement, la répétition engendre donc du différent. Et parfois même du nouveau. N’est-ce pas, en effet, parce qu’ils se sont appliqués à répéter leur gamme que les musiciens de jazz peuvent improviser ? Répéter pour développer réflexes et automatismes… et pouvoir mieux s’en libérer !  Mais, en musique comme dans toute autre discipline, cette libération ne peut advenir que dans l’espace de la relation à un “maître” ou, plus généralement, à autrui.

C’est d’ailleurs souvent par souci de celui-ci, que l’on ne souhaite pas répéter ses erreurs. En effet, de l’apprentissage de nos erreurs dépend bien souvent la qualité des relations que nous entretenons avec les autres. Mais ce serait oublier un peu vite que c’est en tâtonnant que nous apprenons à mieux nous connaître. Le paradoxe ? Savoir persévérer et ne pas changer de direction à la première déconvenue et, en même temps, savoir changer de direction face à l’impasse. À moins, peut-être, que nous fassions ici fausse route. Des erreurs inexorablement nous en commettrons. Parfois elles se répéteront. Et, sans doute, dans des domaines particuliers, bien identifiés. Nous pourrons alors demander de l’aide à ceux et celles qui, dans telle ou telle discipline, semblent plus à l’aise. Nous pourrons aussi considérer ces erreurs comme des signaux. Après tout, apprendre de ses erreurs n’est-ce pas surtout découvrir ce pour quoi on est fait ou non ? D’où l’importance de noter les répétitions et de les prendre en compte. Ne serait-ce que pour gagner du temps !

 

Marianne Fougère

Plume vagabonde et indépendante