En mai, fais ce qu’il te plaît ?

En mai, fais ce qu’il te plaît ?

Et si, en mai, l’on prenait les expressions à la lettre ? L’occasion de réfléchir à la liberté et à ses limites. Celles que l’on se met, celles qui nous sont imposées.

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Depuis quelques temps, le mois de mai n’est plus tellement à la révolution. Mai 2020 : levée du premier confinement, ambiance régime de semi-liberté… Mai 2021 : ouverture de la vaccination à tous les adultes, prémisse des convois de la liberté… Mai 2022 : lendemains qui déchantent, barrage démocratique au nom précisément de la préservation de nos libertés…

Trois années de suite où nous n’avons pas eu exactement l’impression de faire vraiment ce qu’il nous plaît en mai. Quant aux prochaines ? Pas sûr qu’elles s’annoncent sous de meilleurs auspices. Comment, en effet, espérer encore faire ce qu’il nous plaît quand, chaque jour, de nouvelles contraintes viennent brider un peu plus nos libertés de mouvement, de choix voire de pensée ?

La liberté des uns s’arrête…

Il faut dire que, dans l’imaginaire collectif, contrainte rime bien souvent avec restriction. Règle, limite, obstacle : les visages de la contrainte sont multiples. Mais tous ont pour conséquence d’entraver nos actions. Difficile, dès lors, de trouver plus antagoniste avec l’idée de liberté. Ce serait néanmoins oublier un peu vite que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres… Que nous dit cette autre expression dévoyée sinon qu’aucune liberté ne peut se concevoir hors de toute contrainte ? La présence des autres donc, mais aussi les nécessités naturelles : toutes participent à définir notre liberté. Les engagements que nous prenons, les promesses que nous tenons, les contrats que nous signons, lui donnent même une dimension plus profonde.

Si bien que nous pourrions suggérer que notre épanouissement dépend de contraintes. Plus ou moins lourdes, plus ou moins pénibles. Pour le vérifier, nul besoin de souscrire à la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave. Un exemple plus probant ? Celui des artistes qui, à leurs débuts, imitent leurs prédécesseurs, apprennent à maîtriser leur discipline dans les règles de l’art. Ce n’est que bien plus tard que ces artistes pourront s’affranchir pleinement de l’éducation qu’ils auront reçue d’un maître. Une fois seulement cet apprentissage terminé, ils pourront en toute liberté fixer et suivre leurs propres règles. Pour mieux dépasser leur maître mais aussi leurs propres limites.

Dépasser ses limites

Dépasser ses limites ? Tiens donc. Autre mantra d’une modernité hantée par le progrès. Les sportifs, du dimanche ou non, le savent bien. Le dépassement des limites a quelque chose d’euphorisant, presque d’enivrant. C’est dans le dépassement que l’on parvient à explorer le champ des possibles, à approcher un objectif qui nous paraissait pourtant inatteignable, hors de portée. Un mouvement d’arrachement déjà pressenti par la philosophie des Lumières. Quand, par exemple, un Jean-Jacques Rousseau loue l’idée de perfectibilité, ce n’est ni plus ni moins pour mieux la distinguer de celle de perfection. Cette dernière enferme l’homme au sein d’une nature finalisée. À l’inverse, la perfectibilité ouvre le destin humain vers un dépassement infini. Un projet qui résonne autant avec notre “culture de la performance” qu’avec les injonctions proférées par les gourous en tout genre et autres mentors en développement personnel. Au point de devenir angoissant, limite destructeur.

Qui sommes-nous, en effet, pour juger qu’un enfant ou qu’un collaborateur ne s’est pas suffisamment dépassé ? Ne peut-on pas plutôt imaginer qu’ils ont fourni des efforts considérables sans pour autant trouver le chemin du succès ? Et quid de ces contraintes qui, à nos corps défendants, compliquent le dépassement de soi ? Combien de champions paralympiques pour des milliers de corps entravés ? Quid également de ces contraintes liées à nos propres addictions qui nous font souffrir en vain et restreignent indéniablement notre liberté d’action ? Quand ne s’ajoutent pas à celles-ci les tentatives de culpabilisation à coup de “toute est une question de volonté”…

Le sens de l’effort

Tout, bien sûr, n’est pas qu’affaire de volonté. Mais plutôt que d’être dans le déni, pourquoi ne pas admettre que notre volonté, et avec elle notre liberté, sont bridées par les limites que nous nous mettons nous-mêmes ? En prendre conscience ne doit pas nous conduire systématiquement et exclusivement à les dépasser. Cela doit surtout nous permettre de comprendre que c’est aussi, et surtout, dans les limites que nous nous fixons que réside notre liberté. Contrairement aux animaux, nous avons la chance de ne pas suivre automatiquement notre instinct. En somme, nous avons le choix. De quoi ? Des lois et des contraintes que nous décidons de nous imposer.

Un tel changement de perspective permet de reconsidérer le dépassement de soi, de ces contraintes qui nous freinent. L’effort, en effet, n’est pas obligé de s’ancrer dans le culte de la performance. La philosophe, et ancienne sportive de haut niveau, Isabelle Queval, propose plutôt de substituer à l’arrachement vers la performance un “effort sans effort*”. Dans une telle approche, le “bon” effort n’est plus celui des injonctions extérieures et, selon lesquelles, on n’a rien sans rien. Il relève d’un accomplissement, ni destructeur, ni source de domination d’autrui ou de violence sur lui, qui permet de se trouver soi, dans une interaction sociale. En somme, faire ce qu’il nous plait et, en osant donner cette prise au vent, autoriser les autres à être libres eux aussi !

Marianne Fougère

Plume vagabonde et indépendante

 

* Isabelle Queval, Philosophie de l’effort, Paris, éditions nouvelles Cécile Defaut, 2016.