On fait le bilan, calmement

On fait le bilan, calmement

Être maire, ce n’est pas seulement exercer un mandat. C’est apprendre. Écouter. Décider. Essayer. Échouer. Et surtout, recommencer. Essayer encore, échouer mieux.

Le temps passe, passe, passe, et beaucoup de choses ont changé. Après un premier mandat de 2014 à 2020, j’ai choisi de faire une pause. Mais avant de repartir dans une nouvelle campagne, j’ai voulu prendre le temps de revenir sur cette première étape. Faire le bilan, calmement, en me remémorant chaque instant. Qui aurait pu s’imaginer que le temps se serait si vite écoulé et que ce premier mandat aurait été si riche d’enseignements ?

Quand j’ai été élue en 2014, je suis passée, presque soudainement, du statut de citoyenne lambda à celui de maire. Ce passage n’a rien d’anodin. Il oblige à s’interroger : qu’est-ce que cela change en moi ? Que vais-je faire de cette parole nouvelle que l’on m’accorde ? Dans ce moment de bascule, un premier dialogue s’installe – celui de soi à soi. Hannah Arendt évoque ce « deux-en-un » intérieur, ce questionnement que l’on entretient avec soi-même pour rester fidèle à ses valeurs tout en affrontant la complexité du réel. Ce dialogue ne m’a jamais quittée, notamment dans les moments de doute, d’exposition ou d’émotion forte.

Plonger les mains dans le cambouis

Avant même le début officiel du mandat, j’ai compris qu’être maire, ce n’était pas seulement porter des idées ou des projets. C’était surtout comprendre la mécanique d’une commune. Et cette mécanique, je la découvrais. Comme beaucoup, je savais où se situait la mairie, comment y déclarer une naissance ou un décès. Mais je n’imaginais pas la complexité des rouages qui la font fonctionner : la gestion de l’eau, les circuits financiers, les procédures réglementaires, la coordination des services, les arcanes juridiques toujours mouvants…

C’est un apprentissage rigoureux, parfois frustrant, souvent passionnant. J’ai découvert une administration à la fois puissante et lente, traversée par des temporalités qui ne sont pas celles de l’envie ni de l’urgence citoyenne. Gouverner une commune, c’est se heurter au temps long de l’action publique.

Tenir la distance

Je me souviens de l’impatience qui m’animait au début : celle de faire, d’agir, de changer. Puis, très vite, la réalité m’a rattrapée. Chaque projet engage un monde de procédures : diagnostics, études, validations, délais, fouilles archéologiques…

Ce temps de la transformation locale n’est pas celui du geste spontané. Il demande de la ténacité, de l’organisation et surtout une capacité à suivre les dossiers. Relancer, organiser des points d’étape, partager un tableau de bord avec les équipes : tout cela était tout nouveau pour moi. Mais, sans cela, rien n’avance. J’ai appris que l’énergie, ici, ne résidait pas dans la fulgurance, mais dans l’endurance.

Parler juste, sans surchauffe

Mais plus que tout, j’ai appris que ma parole comptait. La parole du maire est attendue, écoutée, parfois commentée bien au-delà de son intention. Et cela oblige. Ce n’est pas la parole d’une professeure face à une classe ; c’est une parole politique, publique, qui engage la commune autant qu’elle engage celle ou celui qui la prononce. Il ne suffit pas d’avoir quelque chose à dire : encore faut-il savoir quand et comment le dire. Une inauguration ne parle pas comme un hommage funèbre. Une réunion technique ne s’exprime pas comme un échange avec des citoyens inquiets. Là encore, le dialogue intérieur est précieux : que vais-je dire ? pourquoi ? à qui ? et au nom de quoi ?

Enfin, ce mandat m’a profondément marquée sur le plan humain. Il m’a appris à écouter autrement. À ne pas juger une parole, mais à chercher à la comprendre. À demander que l’on reformule, plutôt que d’imposer son propre cadre de pensée. À accueillir les émotions sans s’y enfermer. Cela n’a pas toujours été facile. Mais ce sont dans ces moments que j’ai ressenti ce que peut être, vraiment, le rôle d’un maire : un lien, un relais, parfois un repère.

Recharger les batteries

Ce premier mandat, c’était beaucoup de joie, un peu de frustration, et surtout une grande dépense d’énergie. Peut-être que c’est pour cela que j’ai choisi de faire une pause en 2020. Revenir à une vie plus simple, plus anonyme, redevenir pleinement une citoyenne. Car être maire, ça occupe une place immense – parfois trop – dans une vie personnelle et familiale.

Mais aujourd’hui, avec le recul, je mesure combien cette expérience m’a transformée. Elle m’a appris à gouverner… sans oublier d’où je viens. Et à décider… sans cesser de me questionner.