de décrypter une actualité ou un fait de société, et vous propose sa vision.
Ingénieure de formation, notre interviewée du trimestre œuvre à construire du lien au sein de l’administration publique. Forte de son expérience, elle nous livre une réflexion profonde sur les défis relationnels rencontrés dans un environnement hiérarchique, la nécessité de cultiver l’écoute et la bienveillance, ainsi que sur l’importance de coconstruire pour renforcer le bien-être collectif.
Quel enseignement tirez-vous de votre carrière au sein de l’administration en matière de qualité relationnelle ?
En évoluant au sein de l’administration, j’ai pu apprécier combien le rôle de manager pouvait varier d’un contexte à l’autre. Mes nouvelles fonctions m’ont permis de découvrir que les relations au travail pouvaient être beaucoup plus horizontales que je ne l’imaginais. Ici, la hiérarchie est peu visible, tout le contraire de ce que pourrait vivre, par exemple, un fonctionnaire placé sous la tutelle d’un ministère. Cette “découverte” donne matière à réflexion. Elle permet de s’interroger sur la manière de subsister dans un système très vertical et ce, alors même que l’on possède un profil plutôt créatif. Elle invite à ne plus se contenter de régler des urgences et, surtout, à ne pas oublier de coconstruire, d’impliquer les gens. J’apprends donc tous les jours l’art de travailler en équipe et, avec lui, la possibilité de dire les choses tout en respectant l’autre dans son ressenti et ses valeurs.
Auriez-vous un exemple concret où cet art serait, sinon impossible, du moins contrarié ?
Quand vous arrivez sur une mission, il peut arriver que l’équipe soit déjà constituée. Ces personnes peuvent avoir un point de vue arrêté sur une politique publique qu’il vous est demandé d’imaginer. Elles vont prendre des décisions sans prendre la peine de consulter certains membres de l’équipe. Comment dans pareille situation se sentir respectée dans son intégrité personnelle et professionnelle ? Et, surtout, comment réagir ? Faut-il faire le dos rond et attendre que la mission se termine ? Ou faut-il quitter purement et simplement la mission ? Peut-être existe-t-il une troisième posture qui consisterait à se mettre en retrait tout en accomplissant sa part de la mission. Par conscience professionnelle, j’aurais tendance à penser qu’il est essentiel de suivre et remplir ses objectifs, d’aller jusqu’au bout de ce que l’on attend de vous. Mais, avec l’expérience, je sais désormais qu’il faut aussi parfois savoir se retirer et mesurer les enjeux et pour le projet et pour soi. Une mission isolée n’aura in fine qu’un faible impact sur le choix des politiques publiques. D’où toute l’importance de savoir se préserver pour soi mais également pour les autres. Car c’est par la généralisation d’une telle position d’humilité que nous parviendrons à construire une administration et une société plus bienveillantes.
“C’est par la généralisation d’une telle position d’humilité que nous parviendrons à construire une société plus bienveillante.”
Justement, quelle définition donnez-vous à un concept aussi galvaudé que celui de la bienveillance ?
De manière très prosaïque, pour moi, la bienveillance renvoie à une forme de bonté mise toute entière au service d’une vigilance par rapport à soi et à autrui. Être bienveillant, c’est être bon avec soi et avec l’autre. Une telle définition transcende l’acceptation judéo-chrétienne et même toute connotation religieuse. Elle en appelle à une posture, celle-là même qui implique d’être en permanence attentif à soi et à autrui. Cela suppose de porter un regard non seulement bon mais surtout franc sur les relations que l’on entretient avec soi-même et avec les autres. La bienveillance devrait être la norme dans chacune de nos prises de décision ou de parole. Mais, malheureusement, c’est encore loin d’être le cas…
Qu’est-ce qui vous donne à penser cela ?
Nous vivons quand même dans un contexte d’hypocrisie sociale qui pousse les individus à ne pas dire les choses, à rester dans les non-dits. Or, de tels comportements ouvrent beaucoup la voie à l’interprétation ou à l’agressivité. En effet, c’est seulement lorsque les choses sont dites que l’émergence de la vérité peut advenir, une vérité qui, d’ailleurs, n’est pas toujours celle que les gens imaginent… À l’inverse, ne pas dire les choses participe à faire naître du ressentiment, quand il ne s’agit pas ni plus ni moins de bombes sociales… Mais dire les choses ne suffit pas. Il faut tout autant que votre interlocuteur soit en mesure d’entendre ce que vous avez à dire. Or, c’est précisément de cette qualité d’écoute que notre société manque cruellement aujourd’hui. Il me semble, pourtant, qu’on ne saurait parler de qualité relationnelle en l’absence d’écoute. Dans le contexte bouillonnant qui est le nôtre aujourd’hui, dire les choses demande bien du courage. Les dire avec tact en demande encore davantage !
“Il me semble qu’on ne saurait parler de qualité relationnelle en l’absence d’écoute.”
Faites-vous preuve vous-même de pareil courage ?
Grâce aux nombreuses formations que j’ai suivi, je suis désormais en situation de m’exprimer dans le respect de ce que je ressens et de ce que l’autre ressent. Je suis convaincue qu’il est vain de chercher à faire taire les autres, qu’il est même idiot de ne pas vouloir s’enrichir et s’inspirer de leurs connaissances et de leurs compétences. Mais ce qui vaut pour les autres vaut aussi pour moi. Si j’aspire à toujours garder une position d’humilité par rapport au monde et au contexte dans lequel j’évolue, je n’ai plus aucune difficulté à signifier, lorsque c’est le cas, que je suis gênée par le fait de ne pas pouvoir poser de questions ou d’être exclue de la prise de décision. Ce fut un long apprentissage, et il continue encore aujourd’hui, mais grâce à lui j’ai beaucoup moins tendance à fuir les conflits.
Comment expliquez-vous cette tendance à fuir les conflits ?
Mon héritage culturel, le fait d’appartenir à une minorité expliquent sans doute en partie pourquoi, au moindre conflit, je me plaçais en position de retrait. Mais je crois surtout que je n’étais pas assez outillée. Des formations comme des séances de coaching m’ont permis d’identifier mes difficultés. J’ai pu ainsi me rendre compte qu’il est tout à fait possible de dire ce que l’on a à dire tout en se faisant respecter.
“ L’Entente invite les personnes à coconstruire et, ce faisant, à diminuer les émotions négatives qui pourraient traverser et mettre en danger la société.”
Est-ce votre perception de l’Entente sociale ?
D’une certaine manière oui. Pour moi, l’Entente, c’est parvenir à des compromis. Nous avons toutes et tous nos propres parcours, nos corpus culturels, nos traditions. Personne ne détient à lui seul la vérité. Cette dernière représente bien plutôt le centre de gravité des différents points de vue et sensibilités. C’est pourquoi la recherche de compromis me paraît essentielle : personne ne détenant la vérité, nous n’avons d’autre choix que de rechercher le compromis et donc de nous entendre. Quand on parvient à se placer dans une telle démarche, on ne crée ni perdants ni gagnants. En revanche, on se met en capacité de faire adhérer les personnes à une décision, une proposition ou un projet. L’Entente invite les personnes à coconstruire et, ce faisant, à diminuer les émotions négatives qui pourraient traverser et mettre en danger la société. En un sens, elle participe à créer des ponts entre les individus, à les mettre en lien. Et je suis personnellement convaincue que c’est ainsi seulement que nous parviendrons collectivement à construire un capital de bien-être à se partager tous ensemble.
Propos recueillis par Marianne FOUGÈRE
Plume indépendante et vagabonde