“La médiation constitue un levier extrêmement puissant pour rétablir la communication”

“La médiation constitue un levier extrêmement puissant pour rétablir la communication”

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Avocate en droit public, Me Anne Marion nous explique pourquoi et comment elle a fait de la médiation un outil quotidien.

Pouvez-vous vous présenter avec vos propres mots ?

Anne Marion. Que dire, sinon que je suis avocate, spécialisée en droit public. Un choix évident pour moi et ce depuis toujours. Quand je suis arrivée en fac de droit, j’ai tout de suite su que le droit constitutionnel c’était une matière faite pour moi ! Cette révélation s’est confirmée par la suite. J’ai donc tout naturellement enchaîner sur un DESS en droit des collectivités territoriales. Et me voilà aujourd’hui à travailler principalement au contact de collectivités locales, que ce soit auprès des élus ou des fonctionnaires.

Justement, à quel moment de ce parcours a eu lieu votre rencontre avec la médiation ?

Si mes souvenirs sont bons, j’ai suivi une formation à la médiation en 2018-2019.  C’était un cursus structuré en trois sessions de trois jours chacune. Cela a représenté une vraie découverte pour moi. Et le fait que la démarche et les mises en situation proposées cherchaient à appliquer la médiation au droit public a sans doute beaucoup joué ! À l’issue de cette formation, je savais que je ne souhaitais pas devenir, à mon tour, médiateure professionnelle. En revanche, je n’imaginais pas ne pas me servir de tout ce que j’avais appris pour enrichir ma pratique en tant que juriste. Depuis, j’accompagne souvent mes clients dans cette voie. Je suis en mesure de leur expliquer pourquoi, dans leur dossier, la médiation peut représenter une alternative intéressante.

“Les problématiques très spécifiques des collectivités peuvent dans une large majorité être dénouées grâce à la médiation.”

Quelle pratique en avez-vous au quotidien ?

Je la propose quasiment systématiquement dans les dossiers pour lesquels j’estime qu’elle peut s’avérer pertinente. Et cela se produit très régulièrement car je travaille principalement avec des collectivités. Leurs problématiques très spécifiques peuvent dans une large majorité être dénouées grâce à la médiation. Par exemple, j’ai récemment suggéré à une collectivité qu’elle n’était pas tant confrontée à un problème d’urbanisme qu’à un conflit de voisinage. Aussi, plutôt que de tenter de faire annuler un permis – ce qui, dans ce cas précis, semblait impossible, j’ai conseillé à mes clients d’essayer plutôt de négocier un dédommagement. Ce qui peut se faire en médiation.

Comment vos clients réagissent-ils quand vous leur faites cette proposition ?

Leur première réaction, c’est souvent : “Ah, on n’y avait pas pensé, mais oui, pourquoi pas, c’est une bonne idée !” Dans l’ensemble, mes clients acceptent la médiation à condition de leur avoir bien expliqué en quoi cela peut servir leur intérêt et de leur rappeler qu’ils peuvent décider d’arrêter à tout moment. Ceci dit, la médiation n’est pas une formule magique. Il y a des situations où il est difficile de l’envisager. Je pense notamment à un client qui avait accepté le principe de la médiation. Mais, en face, la collectivité n’était pas du tout ouverte à la discussion. Cela avait peu de chance d’aboutir à une solution… Je ne me risquerais pas non plus à proposer la médiation dans un dossier de harcèlement moral, avec un client en état de détresse psychologique. Dans pareille situation, la médiation pourrait se révéler contre-productive et aggraver la souffrance.

“Les médiateurs font tout de suite la différence entre un avocat formé et un autre qui ne le serait pas. Ils apprécient que l’on soit constructif et force de proposition, que l’on sache temporiser et intervenir sans monopoliser la parole. D’où, toute l’importance de se former.”

Et du côté de vos confrères ?

La médiation fait désormais partie intégrante des outils que l’on peut utiliser. Alors oui, il existe encore un écart de génération. Certains avocats plus anciens au barreau ne s’en saisissent pas aisément. C’est normal, après tout, cela ne rentre pas dans le cadre de la culture qu’ils ont connue. Mais, de plus en plus d’avocats se forment à la médiation. D’ailleurs, les médiateurs font tout de suite la différence entre un avocat formé et un autre qui ne le serait pas. Ils apprécient que l’on soit constructif et force de proposition, que l’on sache temporiser et intervenir sans monopoliser la parole. D’où, toute l’importance de se former même si on a une sensibilité naturelle.

Est-ce que votre posture change en médiation ?

Énormément ! En médiation, je me vois avant tout comme un soutien pour mes clients. Je consacre beaucoup de temps à leur expliquer les choses en amont. Je suis bien évidemment à leurs côtés, mais pour moi c’est important qu’ils comprennent que, dans le cadre d’une médiation, ils occupent une place centrale. Je suis donc là pour les accompagner dans la mise en place des solutions, pas pour parler à leur place. En médiation, c’est en effet aux parties de s’exprimer, de “vider leur sac”, de dire ce qu’elles ont sur le cœur. Je les prépare au mieux à ce moment, je désacralise la médiation pour que mes clients se sentent autorisés à s’exprimer puis je m’efface. Mon rôle ne devient plus actif que dans un second temps, quand il s’agit de structurer l’accord sur lequel les parties ont abouti.

Et vous, personnellement, qu’est-ce que le fait d’être formée à la médiation vous a apporté ?

Cela rejoint ce que je viens de dire à l’instant mais la médiation m’a appris à accorder plus de place à mes clients, à les laisser s’exprimer pleinement. Désormais, je ne conçois plus l’idée de leur refuser cet espace. Ce qui ne m’empêche pas de leur dire ensuite ce que je pense, mais seulement s’ils me le demandent. J’y trouve aussi une certaine satisfaction car la médiation permet parfois d’aller plus vite et de manière plus efficace. Dans un procès, il y a forcément un “gagnant” et un “perdant”. Ce qui peut s’avérer frustrant pour les parties comme pour les avocats. Le grand avantage de la médiation c’est de permettre de trouver une solution qui convient à tout le monde.

“Depuis la crise sanitaire, j’ai vraiment le sentiment que les relations se sont tendues, que nous avons les uns les autres de plus en plus de mal à nous supporter.”

Depuis votre point de vue d’avocat, observez-vous une évolution dans la nature et la qualité des relations qui traversent notre société ?

Disons que nous ne sommes pas une profession en manque d’activité… Blague à part, ce que je constate de plus en plus, c’est l’arrivée sur nos bureaux de dossiers qui, en réalité, ne devraient pas nécessiter l’intervention d’un avocat. Ces situations pourraient, et même devraient, être réglées beaucoup plus simplement, à l’amiable, autour d’un café ou d’un apéro… Mais les personnes n’arrivent plus à se parler. Depuis la crise sanitaire, j’ai vraiment le sentiment que les relations se sont tendues, que nous avons les uns les autres de plus en plus de mal à nous supporter. Et les réseaux sociaux comme les travaux qui se multiplient dans de nombreuses villes participent, sans doute, à jeter de l’huile sur le feu…

En quoi la médiation pourrait-elle participer à y remédier ?

La médiation constitue un levier extrêmement puissant pour rétablir la communication. Ce qui fait sa force, c’est qu’elle oblige les parties à exprimer leur position et, surtout, à écouter celle de l’autre. Ça n’a l’air de rien, mais rien que cela, c’est déjà la moitié du travail ! Souvent, les conflits naissent de ressentis mal compris, de maladresses ou de surinterprétations. Et ce qui au départ n’était qu’un tout petit malentendu peut vite se transformer en conflit ouvert. La médiation permet précisément de lever ces malentendus aux proportions démesurées, de rendre possible une compréhension mutuelle et donc de trouver des solutions là où, quelques semaines plus tôt, tout semblait pourtant bloqué.

Propos recueillis par Marianne FOUGÈRE

Plume indépendante et vagabonde