de décrypter une actualité ou un fait de société, et vous propose sa vision.
Accords Médiations. Pouvez-vous vous présenter avec vos propres mots ?
Frédérique Roux. Je suis une publiciste “pur jus” si vous me passez l’expression. Le droit public a toujours été ma matière de prédilection : de ma thèse de doctorat à ma prestation de serment, des différents cabinets spécialisés dans lesquels j’ai exercé en tant que collaboratrice jusqu’à l’ouverture de mon propre cabinet en 2016. Et c’est toujours le cas aujourd’hui même si j’en ai une approche généraliste. Responsabilité administrative, domanialité publique, urbanisme, fonction publique, contrats administratifs, marchés publics, etc. : mon activité couvre des domaines divers et variés en conseil comme en contentieux. Même si je dois reconnaître avoir une préférence pour le premier car j’aime rechercher les solutions les plus adaptées, trouver des options juridiques solides et minimiser les risques pour mes clients. Le contentieux me permet également de défendre les intérêts de mes clients
Justement, pourquoi avoir décidé d’emprunter une carrière juridique ?
La vie est faite d’opportunités et, pour moi, tout s’est joué à une décision ou, plutôt, à une discussion. À l’époque, j’exerçais parallèlement à ma thèse comme assistance de justice. J’ai pu appréhender alors la réalité du droit. Après avoir soutenu, j’ai mesuré que la carrière universitaire ne me correspondrait pas. Je ne voulais pas seulement faire de la recherche, je voulais aussi du concret, « pratiquer ». Et j’ai alors intégré l’école d’avocats. Le moins que l’on puisse dire c’est que je ne le regrette pour rien au monde.
“Si je continue de donner des cours à l’Université, j’aime par-dessus tout le fait d’être une praticienne.”
Qu’est-ce qui vous satisfait le plus dans ce métier ?
Sans aucun doute l’impression d’avancer et de pouvoir le mesurer chaque jour. Cela n’a rien à voir avec le rythme imposé par le travail au long cours qu’exige la recherche. Si je continue de donner des cours à l’Université, j’aime par-dessus tout le fait d’être une praticienne. Bien sûr, que l’on a besoin de théorie et de théoriciens, mais le droit est fait pour évoluer et les avocats participent pleinement de cette évolution. Notre rôle consiste ni plus ni moins à convaincre : soit parce que la règle n’est pas adaptée, soit parce qu’elle peut être interprétée différemment. C’est cet aspect vivant, en mouvement, du droit qui me motive au quotidien.
Quel regard porte la praticienne du droit que vous êtes sur la médiation professionnelle ?
Elle me semble désormais incontournable dans le domaine juridique et la gestion des litiges. Personnellement, c’est un outil que j’utilise régulièrement et, plus particulièrement, dans des dossiers qui impliquent des personnes physiques. Pourquoi ? Tout simplement parce que le droit peut être très abrupt et la justice parfois froide ou insatisfaisante. Quand ils se présentent devant un tribunal, mes clients espèrent souvent trouver quelque chose que les juridictions ne sont, malheureusement, pas à même de leur offrir : une écoute, un échange, un dialogue. La médiation, elle, permet de répondre à cette attente et, souvent, elle fluidifie la recherche de solutions – à condition, toutefois, qu’une solution existe.
“Le droit peut être très abrupt et la justice parfois froide ou insatisfaisante.’”
Dans quelle mesure agit-elle comme un facilitateur de relations ?
Le droit est partout mais encore faut-il qu’il soit compris et, d’une certaine manière, humanisé. C’est là que la médiation intervient : elle agit comme un vecteur relationnel. C’est d’autant plus précieux que nos sociétés sont de plus en plus sous tension et fracturées. Sous la pression des extrêmes, le “vivre ensemble” s’érode, ce qui conduit les personnes à saisir un avocat au premier désaccord et alors qu’il suffirait très souvent de rétablir la communication. Or, en tant qu’avocate, je ne suis pas toujours la mieux armée pour affronter ces situations. Mon rôle, c’est de défendre les intérêts de mes clients mais il arrive que je ne puisse pas toujours leur apporter entière satisfaction. Et, ajoutez à cela la lenteur et la rigidité de procédures judiciaires écrites et vous obtenez un cocktail explosif ! Et je ne peux que comprendre la frustration des parties qui n’ont jamais vraiment l’occasion de se faire entendre. Bien sûr, tout ne se résout pas en médiation, mais c’est un outil parmi d’autres. Et comme le contentieux ne représente pas non plus la seule voie possible, il me semble important de proposer des chemins de traverse.
Quelles sont les limites du contentieux ?
Dès que je peux l’éviter, je le fais. Ce qui n’est pas possible pour tous mes clients. Il n’empêche, même pour les dossiers où le passage devant un juge est inévitable, une décision judiciaire ne répare pas tout et ce, même lorsque mes clients obtiennent gain de cause. Cela est d’autant plus vrai pour le tribunal administratif et sa procédure écrite que les clients ne comprennent pas toujours. J’aurais beau les abreuver d’explications et les préparer au mieux, ils arrivent avec leurs attentes… et peuvent ressortir du tribunal déçus. Entre ce que je peux leur dire et ce qu’ils vivent réellement, il y a parfois un écart important. La médiation, en comparaison, peut être plus rapide. Elle a aussi ses propres limites. En réalité, tout dépend des parties en présence. Il faut que chacun y croie un minimum pour que cela fonctionne, y compris les confrères en face. Si tout le monde est fermé à la discussion ou maintient une posture de confrontation, la médiation n’a aucune chance d’aboutir. Mon rôle consiste aussi à préparer mes clients à cette démarche, pour éviter qu’ils arrivent “les couteaux entre les dents”.
“La médiation permet de créer un espace où les personnes peuvent “vider leur sac”, s’exprimer, se sentir reconnues et, parfois, cela suffit à désamorcer un conflit.”
Pour quelles situations, pour quels dossiers la nécessité d’une médiation s’impose-t-elle le plus à vous ?
Aujourd’hui, on reçoit de plus en plus d’appels de clients – ou de potentiels clients – qui, en réalité, ne nous contactent pas pour un vrai litige juridique. Il s’agit bien souvent d’un conflit latent et si l’on creuse un peu les choses on se rend vite compte que ce qui bloque c’est un problème de communication, de positionnement ou d’échange. Ces malentendus peuvent parfois s’envenimer au point que le client veut absolument porter plainte ou saisir la justice. Mais la vérité judiciaire n’est pas la vérité personnelle de chacun… et c’est là que le bât blesse ! Beaucoup de situations sont même dépourvues de tout fondement juridique. Je me souviens de ce père de famille qui voulait contester une sanction donnée à sa fille par un instituteur… Ce genre de demande illustre bien une forme de dégradation des relations… La médiation est précisément utile pour dénouer ce type de situation. Elle permet de créer un espace où les personnes peuvent “vider leur sac”, s’exprimer, se sentir reconnues et, parfois, cela suffit à désamorcer un conflit.
Observez-vous une certaine réticence de vos clients à la médiation ?
Ils ne débordent pas toujours d’enthousiasme mais, dans l’ensemble, ils sont de moins en moins réticents. Quand je leur propose la médiation, je la présente comme une solution qui peut mettre un terme à leur litige de façon plus rapide et efficace. Et, surtout, j’insiste toujours sur le fait, qu’en médiation, l’objectif n’est pas de “gagner” mais de parvenir à une résolution. Avec le temps, j’ai remarqué que mes clients sont moins arc-boutés dur l’idée du contentieux. Peut-être parce que nous, avocats, prenons soin de les avertir de ce que représente réellement une procédure judiciaire : du temps, de l’énergie, de l’incertitude et aucune garantie de victoire. Mais je pense que c’est aussi lié à une évolution de la société. Nous sommes toutes et tous de plus en plus en quête de solutions rapides, efficaces, presque prêtes à l’emploi. Aujourd’hui, tout doit aller vite et la médiation correspond bien à cette recherche de résultats concrets et immédiats.
“Aujourd’hui, tout doit aller vite et la médiation correspond bien à cette recherche de résultats concrets et immédiats.”
Je crois savoir que vous n’êtes formée à la médiation. Pourquoi n’avoir pas “pris le risque” de le faire ?
Les médiateurs sont tenus à un principe de neutralité dont, honnêtement, je ne suis pas sûre d’être capable. Je m’investis beaucoup, parfois même émotionnellement. J’ai envie de porter la voix de mes clients, de trouver des solutions qui leur conviennent et, en droit public, il y a aussi souvent cette dimension d’intérêt général. J’ai l’impression, à mon échelle, de contribuer à quelque chose de plus grand, d’apporter ma pierre à l’édifice, de transmettre. C’est sans doute mon côté universitaire qui parle pour moi. En tant qu’avocats, nous faisons partie des « sachants », mais nous sommes aussi là pour vulgariser, pour expliquer. Mettre mon savoir au service des autres, c’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur.
Propos recueillis par Marianne FOUGÈRE
Plume indépendante et vagabonde