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Vulgariser n’est pas réservé à ceux qui savent, aux sachants, si nous avons le bon goût de ne pas transformer la médiation en obscur jargon.
“Je vous remercie”, “Ce que vous voulez dire c’est…”, “c’est vous qui décidez !” Ces expressions sont bien connues des médiateurs … et des membres de leur famille tant elles débordent du contexte professionnel et s’invitent parfois à la table d’un déjeuner dominical. Il arrive même que ces formules agacent ceux et celles qui font appel à la médiation. À la plus grande surprise des médiateurs professionnels qui savent l’importance d’un simple “merci”. Mais comment l’expliquer à ceux qui n’en ont pas (encore) conscience ? Pourquoi ce “merci” agit-il comme un moyen de prise de distance ? Comment s’assurer qu’il ne devienne pas un tic de langage et n’engendre, à l’insu des médiateurs, des automatismes de pensée ?
Un éclairage d’autant plus nécessaire que, pour la plupart des néophytes, la médiation reste entourée de mystère. Selon un sondage Odoxa réalisé en 2018, les Français ont une très bonne image de la médiation*. Mais si 82 % ont entendu parler d’elle, seuls 43 % d’entre eux ont une idée précise de ce qu’elle recouvre. Une méconnaissance qui ne les empêche pas de percevoir les atouts de la médiation en matière de désengorgement des juridictions (83 %) ou de maintien du lien social (84 %). Elle peut néanmoins s’avérer plus délétère : ils ne sont plus que 6 sur 10 à estimer que la médiation garantit une totale confidentialité, et ce alors même que c’est l’un de ses principes fondateurs…
Des mots et des maux
Est-ce à dire pour autant que les médiateurs doivent se défaire de leur vocabulaire ? Bien sûr que non ! Les jargons, peu importe leur domaine de prédilection et d’expression, ne sont pas dénués de toute utilité. Ils participent, peut-être, à la création d’un entre-soi. Ils permettent surtout, dans un contexte donné, de communiquer entre soi, de manière utile et précise qui plus est. Aussi, assurent-ils une certaine forme d’efficacité. À condition, toutefois, d’accorder un soin tout particulier au choix des mots, de les employer comme des outils au service de la promotion d’une culture et d’une éthique professionnelles.
Le problème ? Les mots ne se contentent pas de nommer les choses. S’ils peuvent être investis sous l’angle du possible et du changement, ils en disent bien plus long sur nous que nous le voudrions. Les jargons, et celui des médiateurs n’échappe pas à la règle, prennent alors l’allure d’un uniforme linguistique. Quand ils ne se transforment pas en véritable charabia… Inintelligible pour ceux qui n’ont “pas les codes”, un jargon permet, en effet, à ceux qui le maîtrisent de se reconnaître entre eux. Il les rapproche tout en les séparant des autres… ces mêmes autres qui en sont pourtant souvent les premiers destinataires…
Vulgariser la médiation
C’est précisément pour réduire un tel gouffre que la vulgarisation est née comme projet révolutionnaire à la fin du 18èmesiècle. Vulgariser, cela revient à “mettre à la portée des non-spécialistes des notions, des théories”, en somme les “rendre vulgaires” (CNRTL). Avec le risque d’emprunter un axe de communication à sens unique. En effet, la vulgarisation implique un acte de transmission unilatéral des connaissances qui maintient la foule indistincte des citoyens, le vulgus, en position de spectateurs passifs d’une dynamique qui, in fine, leur échappe. Résultat ? La vulgarisation creuse elle-même le fossé entre sachants et profanes tout en prétendant le combler…
Un paradoxe que la médiation, qu’elle soit culturelle, scientifique ou professionnelle, s’est donné pour mission de dénouer. Au contraire de la vulgarisation, la médiation a pour objectif de tisser des liens : entre une œuvre et les visiteurs d’un musée, entre une découverte et le grand public, entre des parties en conflit. Elle n’a de sens qu’au travers d’un dialogue, d’une confrontation, d’un échange entre subjectivités. Elle invite les personnes à coconstruire les savoirs partagés ou une solution au différend qui les oppose. En ce sens, toute médiation participe de leur empowerment. D’où toute l’importance pour les médiateurs en général, pour les médiateurs professionnels en particulier, de veiller aux mots et aux outils qu’ils utilisent et, si besoin, d’expliquer pourquoi il en est ainsi. C’est à cette seule condition qu’ils pourront véritablement joueur leur rôle de passeurs de compréhension.
Marianne Fougère
Plume vagabonde et indépendante
* Odoxa, “Les Français, la réforme de la justice et le recours à la médiation”, enquête réalisée sur Internet auprès d’un échantillon de 1 009 Français représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, les 28 et 29 mars 2018.