L’Entente européenne : une utopie impossible ?

L’Entente européenne : une utopie impossible ?

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En ces temps troublés, le pari de l’Entente s’impose avec d’autant plus d’urgence. Mais qu’en est-il au niveau européen ?

 

Ce mois-ci, une fois n’est pas coutume, nous vous emmenons, chères lectrices, chers lecteurs, dans les coulisses des Décryptages. Comme tout média sérieux, nous suivons un calendrier éditorial, calendrier qui ne se décide pas des mois en avance, mais d’un mois à l’autre ce qui peut, parfois, introduire un certain décalage avec l’actualité la plus brûlante… Avec les derniers rebondissements de la vie politique française – et par où commencer tant ils sont nombreux !,  s’est posée la question de l’opportunité d’un changement de thème pour cette édition du mois juillet, post-élections européennes… Après les semaines que nous venons de traverser, les résultats de ces dernières semblent en effet bien loin… presque de l’histoire ancienne… Mais, comme un décryptage n’est pas un éditorial, nous avons décidé de maintenir notre programme en l’état. Nous allons donc parler d’Europe car, après tout, ce n’est pas si souvent qu’on l’aborde par le prisme de la médiation. 

L’Entente à l’échelle européenne

Que vous soyez des lecteurs assidus ou que vous ne découvriez cette rubrique qu’à l’instant, peut-être savez-vous que l’une des plus grandes aspirations des médiateurs professionnels est de participer à la promotion de l’Entente et ce, à tous les échelons de la société. Relations de voisinage, entreprises, collectivités territoriales, organisations : pas un niveau qui ne soit pas compatible avec l’Entente. Aussi, pourquoi en irait-il autrement pour les relations entre les États ? D’où notre question : que serait et que signifierait l’Entente si l’on envisageait de la téléporter au niveau européen ? 

Une question plus ardue qu’il n’y paraît et à laquelle même les moteurs de recherche ne semblent pas pouvoir répondre en trois clics. Si l’on en croit le plus connu d’entre eux, l’entente serait, en Europe, surtout circonscrite au domaine économique. Et ce pour une bonne raison : éviter, à tout prix, qu’elle n’advienne ! Ainsi, des règles existent pour proscrire toute entente écrite ou orale, expresse ou tacite, horizontale ou verticale visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché de produits ou de services déterminé. Mais, peut-être, serez-vous encore plus surpris d’apprendre qu’a été créée une Entente européenne d’aviculture et de cuniculture ? Sa mission ? Favoriser l’élevage de races de volailles, palmipèdes, dindes, pigeons, oiseaux, lapins et autres cochons d’Inde, ainsi que l’élevage et la garde des volailles sauvages et d’ornement… Plus en lien avec notre sujet, la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJCE), depuis le 14 juin 2017, de la faculté, pour les États membres, de rendre obligatoire la médiation de la consommation avant la saisine d’un juge sous réserve de certaines conditions. Mais, vous en conviendrez, hormis ces quelques occurrences, notre quête d’Entente européenne apparaît bien mal engagée. 

UE, mon désamour

En même temps, est-ce si surprenant ? Comment réagissez-vous quand on vous parle d’Europe ? Il y a fort à parier que vous leviez les sourcils au ciel ou, au moins, haussiez un peu les épaules. Et vous n’êtes pas les seuls ! En témoigne le taux de participation aux élections du mois dernier. Si 89,82 % des Belges se sont déplacés dans leur bureau de vote – dans le royaume, le vote est obligatoire, au risque sinon de sanctions, contre 21,34 % des Croates, les derniers de la classe. Avec un taux de participation de 51,59 %, la France obtient tout juste la moyenne puisque 50,93% des Européens sont allés voter. 

Néanmoins, l’Eurobaromètre, commandé par le Parlement Européen, a montré que nos compatriotes faisaient preuve vis-à-vis de l’Union Européenne (UE) d’une certaine morosité*. Nous sommes, en effet, le seul pays où les optimistes sont minoritaires (42 %) comparés aux pessimistes (52 %). Quand on les interroge, les Français sont aussi plus nombreux que la moyenne européenne à avoir une image négative de l’UE et à penser que son rôle dans le monde est devenu au fil des années “moins important”. Ce qui explique sans doute pourquoi une majorité d’entre eux (53 %) reconnaissent ne pas s’y intéresser, contre 60 % des autres citoyens européens. 

Entente en terre inconnue

Il existerait donc un désamour entre l’UE et les Français. Désamour qui passe aussi par une mésentente, pas au sens commun d’un malentendu mais tel que la concevait le philosophe Jacques Rancière. Pour ce dernier, la mésentente renvoie plutôt à une situation “où l’un des interlocuteurs à la fois entend et n’entend pas ce que de dit l’autre**, où ce que dit l’autre est perçu comme du bruit et non comme un objet commun de dispute. Au sein de l’UE, la mésentente semble omniprésente. Pas un jour ne passe sans qu’un ou une passant·e interrogé·e au hasard d’un micro-trottoir ne se plaigne que ceux d’en haut ou de Bruxelles n’entendent pas, que son avis compte pour du vent, pour ne pas dire pour des prunes ! Aussi, conviendrait-il de s’interroger sur la possibilité de lieux où le dialogue entre les citoyens et l’Europe ne se résumerait pas à un brouhaha ambiant.

Ces lieux ne sont peut-être pas à chercher au cœur du réacteur européen, c’est-à-dire du côté de Strasbourg ou de Bruxelles. Pas plus qu’ils ne nous attendent aux portes de l’Europe. En revanche, nombreuses sont en Europe les régions dites “transfrontalières”. Elles couvriraient même 40 % du territoire de l’UE et abriteraient près d’un tiers de sa population. Des partenariats aident travailleurs et employeurs à surmonter les obstacles inhérents à des pratiques nationales, des systèmes de sécurité sociale, des règles fiscales ou des systèmes juridiques en tout point différents. Et saviez-vous qu’une plateforme transfrontalière vient d’être lancée par le Comité européen des régions ? Sa vocation ? Devenir un lieu d’échanges et permettre aux différentes parties de dialoguer avec les institutions de l’UE. Mais, ne pourrions-nous pas aussi envisager les jumelages entre villes ou le droit de pétition au Parlement Européen comme autant de moyens de faire avancer l’Entente ? Ces lieux autres, ces hétérotopies si chères à Michel Foucault, entretiennent en tout cas l’espoir de voir hisser l’Entente parmi les réalités européennes possibles …

 

Marianne FOUGÈRE

Plume indépendante et vagabonde

 

* Eurobaromètre, avril 2024.

** Jacques Rancière, La Mésentente. Philosophie et politique, Paris, Galilée, 1995, p. 12.