de décrypter une actualité ou un fait de société, et vous propose sa vision.
Président de ViaMédiation, Tristan Lascoux œuvre pour démocratiser les outils de l’ingénierie relationnelle et, ainsi, en finir avec la grisaille sociale.
Accords Médiations. Se tourner vers la médiation si jeune, c’est peu commun. Pourquoi avoir fait le choix de s’engager dans cette voie ?
Tristan Lascoux. Ma mère est avocate et mon père a dédié sa vie à construire un projet de société autour de l’entente sociale. J’ai donc grandi dans un milieu traversé de toutes parts par les valeurs de justice, d’équité et de liberté. Rien de surprenant alors à ce que la médiation se soit imposée à moi comme une évidence ! Cela ne m’a empêché néanmoins d’opter, avant cela, pour un tout autre parcours, en faisant du droit d’abord, puis en me formant à la sophrologie et, enfin, au management. C’est d’ailleurs en parallèle d’un Bachelor en management de l’innovation que j’ai entamé ma formation à l’EPMN.
Quel était l’intérêt de suivre pareil double cursus ?
La médiation m’est apparue comme le parfait complément aux enseignements dispensés dans les écoles et campus que j’ai pu fréquenter. En effet, elle m’offrait une boîte à outils de compétences dans laquelle puiser pour me sentir plus à l’aise dans ma manière de communiquer ou encore de manager une équipe. Mais pas seulement. Cela m’a permis aussi, et surtout, d’identifier comment être en relation avec moi-même et avec les autres.
Peut-on dire que la médiation est venue répondre à un manque ?
Dans une certaine mesure oui. Lors de mes études, de nombreux cours faisaient allusion à la problématique relationnelle sans jamais explicitement la mentionner ou l’identifier. Prenons l’exemple de la bienveillance, que l’on peut évoquer aussi bien dans un cursus en management qu’en ressources humaines. Les formateurs dressaient toute une liste de recommandations, de conseils, de conduites à adopter ou, au contraire, à éviter. On nous invitait à respecter l’autre, à ne pas le juger, à ne pas être trop autoritaire ni trop contraignant… À la fin de l’année, on se retrouvait avec une liste longue comme le bras de plus ou moins bonnes pratiques sans jamais vraiment savoir lesquelles privilégier. Au moins, avec la médiation professionnelle, les choses me semblent moins confuses !
“La médiation m’offrait une boîte à outils de compétences dans laquelle puiser pour me sentir plus à l’aise dans ma manière de communiquer ou encore de manager une équipe.”
Avec quelle recette magique ?!
Avec des outils surtout ! Le prêt d’intention, l’interprétation, la contrainte constituent trois indicateurs que l’on retrouve dans n’importe quelle relation et ce, qu’elle soit conflictuelle ou de qualité. Ces invariants me confèrent une colonne vertébrale sur laquelle m’adosser quand il s’agit d’affronter des situations relationnelles dans des domaines aussi variés que la communication, le management ou les ressources humaines. Plus largement, disposer de tels indicateurs représente un véritable atout. Cela permet de débloquer de nombreuses situations. Grâce à eux, les personnes prennent conscience de leur manière de fonctionner. Elles peuvent juger de leur utilité de manière quasi immédiate.
Inversement, quelle influence exercent vos études sur votre perception de la médiation ?
Mes études m’ont montré toute l’étendue du champ d’application de la qualité relationnelle. PME ou grand groupe, leader de l’industrie automobile ou ONG environnementale : tous ces acteurs, tous ces domaines ont à gagner à s’intéresser à la médiation professionnelle, à s’emparer des outils de l’ingénierie relationnelle. Et pourtant, malgré tout, l’aspect relationnel demeure encore trop souvent le parent pauvre des organisations quand il s’agit de mettre en place de nouvelles techniques de communication, de réinventer le dialogue social ou d’appliquer la conduite du changement.
Quel impact le fait d’être tombé tout petit dans le chaudron de la médiation a sur le développement de la personnalité ?
Je dirais que c’est une éducation très responsabilisante non pas au sens légal ou culpabilisant du terme mais dans la mesure où elle t’apprend que tu es le premier acteur de ton changement. Très tôt, j’ai su qu’en cas de situation déplaisante ou déstabilisante, j’étais le seul à pouvoir agir pour que cela ne soit plus le cas. J’ai appris plus rapidement que la moyenne à distinguer ce qui relève de moi de ce qui n’en dépend pas. L’apprentissage de l’altérité est tout particulièrement confrontant. Cela invite à faire face constamment à ses propres limites, ce qui s’avère très utile pour naviguer dans un monde aussi complexe et volatil que le nôtre.
“L’apprentissage de l’altérité est tout particulièrement confrontant. Cela invite à faire face constamment à ses propres limites.”
Tout le monde n’a pas la chance de grandir dans pareil environnement. Comment expliquez-vous ce qu’est la médiation professionnelle aux personnes qui n’en sont pas familières ?
J’aime présenter la médiation professionnelle comme une garantie, celle de faire un choix satisfaisant et d’apprendre à l’entretenir. Après, bien sûr, je peux dérouler et expliquer que la médiation représente une nouvelle profession visant à promouvoir l’entente sociale comme projet de société et donc, en quelque sorte, à révolutionner notre accompagnement des tensions et des crises. Car, après tout, la médiation offre à tout un chacun la liberté d’apprendre à entretenir des relations de qualité.
Quels sont, selon vous, les principes de la médiation les plus importants ?
Le socle de notre profession c’est son éthique et sa déontologie. Mais j’estime que pour être un bon médiateur il faut aussi savoir accorder toute leur importance à l’ignorance et à la maladresse. Reconnaître que l’autre peut ignorer comment faire ou comment réagir face à telle situation, c’est participer à l’amélioration de la qualité relationnelle. Quant à la maladresse, elle est au cœur de notre quotidien. Un mail envoyé à la hâte sans mettre en copie son manager, un client contacté directement, un mot mal employé, etc. : nous sommes des êtres de maladresse ! L’admettre ne résoudra sans doute pas toutes nos difficultés mais cela n’en est pas moins un pas important sur le chemin de la reconnaissance.
La médiation professionnelle est sur le point de célébrer ses vingt-cinq ans. Quel avenir votre génération pourrait-elle lui dessiner ?
J’espère que la nouvelle génération aura pour maître-mot la synergie. Je crois que le temps est venu de bâtir un réseau innovant grâce auquel développer ensemble des services, des offres, des formations utiles pour les individus et les collectivités. Ma génération, j’en suis convaincu, aura pour mission d’enraciner la qualité relationnelle et les compétences de l’entente au sein des sociétés, de porter le message d’un changement social et de gouvernance.
“J’espère que la nouvelle génération aura pour maître-mot la synergie.”
Justement, comment envisagez-vous la promotion de la médiation dans les prochaines années ?
Il me semble indispensable d’impliquer encore davantage les organisations, et donc les dirigeants. Si la formation initiale demeure importante et qu’elle doit, selon moi, se décliner également en ligne, tout reste à faire au niveau de la formation continue. Celle-ci doit permettre de transmettre des compétences aux professionnels directement sur leur site de travail mais qui leur soient également utiles dans leur vie personnelle. Imaginez qu’un nombre toujours plus grand d’entreprises et d’organisations proposent à leurs collaborateurs des permanences de médiateurs pour évoquer leurs conflits de voisinage ou de couple. Ça, ça serait vraiment révolutionnaire ! Mais, pour que ce rêve devienne réalité, nous devrons être en capacité de montrer que la qualité relationnelle constitue également un levier pour la performance financière des organisations.
N’est-ce pas précisément ce qui vous a motivé à construire Nexus ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cet inventaire barométrique de la qualité relationnelle ?
Nexus introduit une démarche innovante, avec un inventaire, des indicateurs, des diagnostics d’évolution, des préconisations de mesures d’accompagnement. Concrètement, notre outil se présente sous la forme d’un questionnaire de 13 questions formulées de manière positive. Nous ne nous plaçons pas dans une logique qui viserait à mettre en avant des situations de dangers potentiels et, il faut bien le dire, bien souvent imaginaires. L’idée consiste plutôt à embarquer les individus avec un discours articulé autour du potentiel de l’organisation, de son projet. Cela implique d’aborder non pas les irritants mais d’identifier ce qui participe de la qualité du climat relationnel.
“C’est un vrai travail d’équipe, l’entente !”
Pourquoi cela vous semble si important d’inverser le paradigme ?
On ne compte plus les baromètres et les enquêtes mis à la disposition des organisations pour prévenir les risques, pointer les pratiques de harcèlement ou encore évaluer la qualité de vie au travail. Ces outils ont pour objectif d’indiquer ce qu’il ne faut ou ne faudrait pas faire. Ils présentent l’avantage de s’appuyer sur un cadre légal, cadre dont ne bénéficie pas la qualité relationnelle. Ce qui peut surprendre tant la qualité des relations est précisément l’une des composantes clés de la réussite ou de l’échec en matière d’innovation et de conduite de projet. Nexus se propose précisément de remédier à cela, de construire avec les dirigeants et les directions un discours et un projet qui tiennent compte véritablement de la qualité relationnelle. À terme, l’objectif est de parvenir à réunir une communauté d’entreprises sous un label de confiance participant de leur identité éthique au regard de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Car, le plus grand défi que doivent relever les organisations réside dans l’entretien, année après année, de la dynamique de confiance. Pour elles, Nexus doit donc faire figure d’allié et témoigner d’une amélioration et non d’une dégradation du tissu relationnel.
Est-ce une manière de participer à la construction de nouveaux narratifs, à l’avènement, demain, de nouvelles sociétés ?
En un sens, parfaitement. Aujourd’hui le système de gestion de la qualité relationnelle est long, coûteux et il entretient l’adversité. Or, s’il existait un service facilement accessible pour orienter les individus vers des médiateurs, nos sociétés ne s’en porteraient que mieux. Cela permettrait aux personnes d’acquérir de nouvelles compétences, d’apprendre à se remettre en question, de trouver en elles des solutions, de faire différemment plutôt que d’entretenir cette grisaille sociétale ambiante. Nous passerions les unes, les uns et les autres beaucoup moins de temps sur ce qui nous agace et ce serait d’autant plus facile que les autres nous aideraient à ne pas nous y arrêter ! C’est un vrai travail d’équipe, l’entente !
Propos recueillis par Marianne FOUGÈRE
Plume indépendante et vagabonde