Mieux vaut prévenir que guérir ?

Mieux vaut prévenir que guérir ?

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Boycott, pénuries, conflits, etc. : autant d’exemples de notre réticence à consulter, concerter, anticiper. Pour mieux prévenir et donc guérir ?

Paquet de cigarettes à plus de 10 euros, extension de l’obligation vaccinale, dépistage de cancers en tout genre, etc. : autant de dispositions qui font la part belle à la prévention et, surtout, consensus parmi la classe politique. En témoignent les dernières élections présidentielles. Aucun candidat n’a alors osé contester la nécessité de faire de la prévention une priorité. Dans leurs discours tout du moins. Car, en la matière, la France accuse un retard par rapport à ses voisins européens. Notre pays consacre, en effet, 2 % de ses dépenses de santé à la prévention, contre 3,1 % en moyenne dans l’Union européenne1. Et ce alors même que notre budget santé est l’un des plus importants sur le continent et que, sur le terrain, tous les Français vous le diront : mieux vaut prévenir que guérir…

Comment expliquer, dès lors, que seulement 22 % des Françaises éligibles ont effectué un dépistage du cancer du col de l’utérus, contre une moyenne de 50 % dans l’ensemble de l’Union ? Un manque de médiatisation2 ? Peut-être. Il est vrai qu’un dispositif comme Octobre Rose permet d’obtenir de bien meilleurs résultats pour la prévention du cancer du sein. Mais le taux d’adhésion à 53 % reste très en-deçà des 83 % enregistrés au Danemark ou en Finlande2. Autres facteurs de risque ? L’Assurance Maladie orientée, par essence, vers le malade et non vers la santé publique au sens large. Et que dire de la dispersion et de la mauvaise coordination des acteurs de la santé et de la prévention ? Autant d’éléments qui expliquent en partie pourquoi, dans notre pays, l’adage populaire ne se vérifie pas.

Conflit chic, prévention choc

Mais, si la greffe préventive prend si mal, c’est aussi parce qu’elle souffre d’être trop souvent reléguée à l’échelle individuelle. Il suffit, pour s’en rendre compte, de s’en remettre aux écrivains et poètes. De Baltasar Gracian qui pense “plus aisé de prévenir la médisance que d’y remédier3 à Albert Camus pour qui “il faut à tout instant prévenir en soi la méchanceté et la calomnie4, il apparaît que la prévention est d’abord une affaire personnelle. Ce qui n’empêche pas certains de montrer une autre voie où, cette fois-ci, elle serait susceptible de guider l’action collective. Ainsi Lao-Tseu reconnaît qu’il est préférable de prévenir le mal avant qu’il n’existe ou, plus concrètement, de calmer le désordre avant qu’il n’éclate.

Mais rien ne change. La maxime populaire traverse les siècles sans que jamais n’ait lieu le fameux choc de la prévention. Les arguments en sa défense pourtant ne manquent pas : réduction des coûts et des inégalités, meilleure santé et plus longue espérance de vie, dépistage des maladies et anticipation des risques, efficacité… et humilité. Et c’est peut-être ici que le bât blesse. Prévenir pour mieux guérir suppose bien sûr de savoir et de connaître pour mieux débusquer les erreurs. Mais, la prévention nécessite surtout d’avoir conscience de sa propre ignorance. Or, à l’heure des décisions et des politiques publiques verticales, cela représente une limite essentielle…

Réactions en cascade

D’où la multiplication des actions réactives comme les boycotts d’événements sportifs, les réquisitions de personnel gréviste, les mises en examen de ministres… Pourtant, qu’il s’agisse de lutter contre la corruption dans les instances internationales, de fluidifier le dialogue social ou de faire la transparence dans la vie publique, des outils existent. Et plus efficaces que la réaction et la répression qui, faut-il le rappeler, créent souvent plus de désordre qu’elles n’en résolvent.

Un exemple ? Notre-Dame-Des-Landes. Après des décennies et des décennies de lutte et de contestation, le gouvernement Ayrault a décidé en 2016 de recourir au référendum pour mettre fin au désaccord. Un référendum et un projet d’aéroport très vite enterrés par l’exécutif suivant et ce malgré la majorité d’électeurs de Loire-Atlantique qui s’étaient prononcés en faveur du “Oui”. Autre grande perdante ? La démocratie. Car le référendum, outil par excellence de la démocratie directe, a été ici instrumentalisé contre elle. Là, où des dispositifs de consultation et de concertation auraient pu, en amont, mettre décideurs politiques et citoyens lambdas sur un pied d’égalité. Là, où des dispositifs de démocratie réellement participative auraient pu en faire de véritables partenaires. Et ce, bien avant que le divorce ne soit totalement consommé…

Autrement mieux

Loin de nous l’idée de plaider pour la remise en cause de la sacro-sainte démocratie représentative. Les outils de démocratie participative doivent venir la complémenter et non la remplacer. En revanche, leur adoption requiert que les différents acteurs acceptent de faire autrement… Ce que supposent précisément la prévention et, par extension, l’anticipation et la médiation. En effet, cette dernière est encore trop souvent convoquée pour régler autrement les conflits. Mais limiter ainsi son recours revient ni plus ni moins à la réduire à sa seule dimension curative…

… au détriment de sa dimension préventive qui s’exprime d’abord dans la culture organisationnelle. Que signifie, en effet, commander autrement sinon anticiper et donc prévenir des conflits au sein des groupes et collectifs ? Elle se manifeste aussi dans nos manières d’appréhender et de concevoir savoirs, savoir-faire et savoir-être. Mais comment développer d’autres moyens de valider ces savoirs si l’on n’apprend pas à connaître autrement ? C’est donc à la condition de se former, de reconnaître que tout ce que l’on sait c’est finalement que l’on ne sait rien, de faire preuve d’humilité, que l’adage “mieux vaut prévenir que guérir” obtiendra une dimension pratique, que la prévention passera enfin à l’échelle collective.

Marianne Fougère

Plume vagabonde et indépendante

1 Institut Montaigne, Filière santé : gagnons la course à l’innovation, mars 2021.

2 Institut Montaigne, Prévention santé : comment la France peut rattraper son retard, mai 2022.

3 Baltasar Gracian, L’Homme de cour, 1646.

4 Albert Camus, Carnets I, mai 1935-février 1942.