Myriam Rimbaud-Fougère : “Imaginer une culture commune de l’entente ça, ça serait véritablement disruptif !”

Myriam Rimbaud-Fougère : “Imaginer une culture commune de l’entente ça, ça serait véritablement disruptif !”

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Élue de la République et médiateure professionnelle, Myriam Rimbaud-Fougère ne rate plus une occasion pour militer en faveur de l’entente. 

Pourriez-vous revenir sur vos premiers pas vers la médiation ?

Myriam Rimbaud-Fougère. Ce sont des rencontres et plus précisément deux personnes qui m’ont permis d’entrer dans le monde merveilleux de la médiation. À l’époque, j’étais maire d’une commune davantage connue pour son fromage et sa mairie ronde que pour ses difficultés. Il n’empêche, ces personnes pensaient que connaître le fonctionnement de la médiation me serait d’une aide précieuse pour orienter ma posture professionnelle mais aussi pour m’outiller face aux situations que je pouvais rencontrer en tant qu’élue. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles avaient raison ! Je recevais au quotidien des administrés qui venaient me confier leurs problèmes ou me faire part d’un conflit avec tel ou tel autre voisin. Hormis les écouter, leur dire que “je comprenais”, me montrer bienveillante, je ne savais pas vraiment quoi faire ni comment les aider. Quand elles quittaient mon bureau, bien sûr ces personnes me remerciaient de leur avoir accorder un peu de mon temps. Elles semblaient contentes… moi pas ! Je me sentais terriblement impuissante, démunie et encore plus quand ces mêmes personnes revenaient trois mois plus tard avec le même conflit sur les bras. Une rencontre, un besoin, l’envie de trouver la bonne formation : voilà donc comment je résumerais ma découverte de la médiation.  

Quelle image justement aviez-vous de la médiation avant d’entamer votre formation ? 

À vrai dire, je ne savais pas trop ce que ce mot englobait. Pour moi, la médiation était une affaire de juristes, une sorte de conciliation. J’imaginais une bande de petits papys à la retraite qui rendaient service à la justice pour que les dossiers soient traités plus rapidement ! Quel choc que les premiers modules de formation ! J’ai pris conscience de mon ignorance : la médiation n’entrait, mais alors pas du tout, dans ce domaine de pensée. 

Maintenant que vous savez, comment décrirez-vous la médiation à celle que vous étiez 5 ans en arrière ? 

Je lui présenterais, je me présenterais la médiation comme une aide à la communication car c’est ainsi que les choses se sont passées pour moi. L’apprentissage de la médiation m’a donné des clés, des outils pour me faire comprendre et non plus attendre des autres qu’ils me comprennent d’eux-mêmes. Ça a changé ma vie en tant qu’élue ! Quand j’étais maire, j’étais constamment à portée d’engueulades. Or, comprendre que lorsqu’une personne pousse une engueulade ce n’est pas moi qu’elle engueule mais elle-même, ça change tout ! Cela m’a appris à ne pas prendre pour moi ce qui, finalement, ne l’est pas. Au quotidien, cela me protège en quelque sorte. Cela me place surtout en capacité d’apporter à l’autre une forme de reconnaissance, de faire en sorte que la situation soit un peu plus agréable et pour lui et pour moi. Entre nous, entre médiateurs, nous avons l’habitude de parler de “changement de paradigme”. Pour les autres, cela ne veut strictement rien dire ! Mais pour nous, cette inversion de mode de pensée, ça veut dire beaucoup. Prendre conscience que quand l’autre te parle, il parle d’abord de lui, rend possible le pas-de-côté, la prise de distance. Bien sûr, c’est plus difficile en présence d’une personne avec laquelle on a tissé un lien affectif. Je trouve toujours très confrontant de me rendre compte de toutes les fois où je n’ai pas réussi à ne pas donner prise… Et je ne vous cache pas qu’il m’arrive encore de ne pas y parvenir ! Après tout, je suis humaine comme tout le monde et donc soumise, moi aussi, à mes émotions 

“Les outils et techniques acquis grâce à la médiation m’aident beaucoup quand je dois prendre la parole en public. Ils m’ont appris à structurer mes discours.”

Qu’a changé la médiation dans votre manière d’interagir avec les autres ?

Je parle moins de moi, je suis beaucoup moins dans le “moi je, moi je”. Que ce soit lors d’une rencontre dans la rue ou d’une inauguration, j’ai pris le réflexe de parler de la personne ou des personnes qui me font face. Bien sûr, il arrive que ces personnes me posent des questions. Je ne m’interdis pas alors d’y répondre et donc, d’une certaine façon, de parler de moi. Mais, ce n’est plus un automatisme. La médiation a eu un réel impact sur ma manière d’être avec les personnes, de les écouter et d’adopter un langage qui s’adresse à elles. C’est une posture professionnelle qui m’aide beaucoup pour me décentrer de ma personne et me concentrer sur l’autre.

Auriez-vous des exemples concrets de l’utilité de la médiation dans la vie de tous les jours ? 

C’est un précieux atout en réunion ! Quand je sens les différents interlocuteurs commencer à s’impatienter ou que je vois la mayonnaise en train peu à peu de monter, je reprends les faits pour recentrer la conversation et les attentions sur le sujet qui nous préoccupait avant que les choses ne se corsent… Mais ce qui vaut pour les autres fonctionne aussi pour moi ! Plutôt que de grommeler dans ma tête ou de pester sur l’attitude de telle ou telle autre personne, je me concentre sur ce que mon interlocuteur dit, sur ce qu’il propose pour voir si je suis ou non d’accord avec lui, pour lui demander au besoin de préciser sa pensée. Parfois, j’essaie aussi de faire retomber la pression en introduisant  de la légèreté ! C’est assez déconcertant pour les autres mais le plus souvent efficace ! Encore plus dans un cadre plus familial… ça évite de mettre de l’huile sur le feu…. Mais les outils et techniques acquis grâce à la médiation m’aident aussi beaucoup quand je dois prendre la parole en public. Ils m’ont notamment appris à structurer mes discours. Et même lorsque je dois prendre la parole de manière improvisée, je m’astreins à structurer mon intervention selon trois axes : Quel est le projet concerné ? Quelles sont les actions menées ? Qui sont les personnes impliquées ?  

Que n’auriez-vous pas pu faire sans votre formation à la médiation professionnelle ?

Monter mon entreprise ! Jamais je ne me serais cru capable de me lancer à mon compte, d’être ma propre “patronne”, de ne plus dépendre d’une hiérarchie ou d’une administration. C’est totalement nouveau pour moi de devoir adopter une démarche de prospection ou de pitcher mon métier. Se vendre, décrocher un contrat, cela n’a strictement rien à voir avec le fait de passer un concours ! Grâce à ma formation, j’ai acquis un sens de l’implication, du faire. Désormais, je m’interdis moins de faire les choses. Je ne me limite plus par peur du jugement des autres, je ne me demande plus “mais que vont en penser les autres ?” J’agis ! J’ai appris à identifier mes limites et, surtout, à me sentir légitime. 

“Jamais je ne me serais cru capable de me lancer à mon compte, d’être ma propre “patronne”, de ne plus dépendre d’une administration ou d’une hiérarchie.”

En parlant de limites, quels sont les obstacles qui, selon vous, retiennent encore les personnes de faire appel à la médiation ? 

Nombreuses sont les personnes à souffrir de ce qu’on appelle le “fatalisme fonctionnel”. Elles s’imaginent que puisque les choses ont toujours été comme ceci ou comme cela, on ne peut rien changer à la situation. Ce constat d’impuissance est ce qui les empêche de passer à l’action. Et c’est précisément ce fatalisme que la médiation cherche à démystifier. Cela ne veut pas dire que tout peut être changé en un claquement de doigts. Mais cela vaut le coup d’essayer, non ? Que risquent les personnes à voir les choses autrement, à faire différemment ?  Que risquent-elles à donner sa chance à la médiation ?

Et en ce qui concerne les organisations ou les administrations, qu’ont-elles à gagner à faire le pari de la médiation ?

Ce qui coûte cher à une entreprise ou à une collectivité, c’est l’absentéisme. Or, les gens ne sont pas malades parce qu’ils sont fainéants mais tout simplement parce qu’ils ne sont pas bien ! D’où, toute l’importance de soigner la qualité relationnelle au sein des organisations, ne serait-ce que pour booster leur productivité ou mettre de l’huile dans des rouages rouillés. Ces dernières années, et encore plus depuis la crise sanitaire, il a beaucoup été question de QVCT [qualité de vie et des conditions de travail] ou de RPS [risques psycho-sociaux]. Mais on oublie souvent que le premier risque c’est le risque relationnel. Quand les relations se grippent au sein d’une entreprise ou d’une équipe, il peut s’avérer utile d’appuyer sur pause, de faire un pas-de-côté pour s’interroger sur la suite à donner à la relation, pour trouver d’autres solutions. C’est pour cela que la médiation existe : dégager l’horizon des solutions ! 

Que dire à celles et ceux qui hésitent encore à sauter le pas ? 

Je leur poserais une seule et unique question : “Que risquez-vous à mettre l’entente au centre de vos relations ?” C’est une question rhétorique puisqu’on ne risque rien à faire le pari de l’entente. Ce qui ne veut pas dire que c’est facile. L’entente, cela s’apprend. C’est un entraînement de tous les jours, avec des jours avec et des jours sans, avec des réussites et des échecs. Mais que risque-t-on à trébucher et même à se planter ?

“La confiance relationnelle ne se décrète pas.” 

Mais des ateliers d’ingénierie relationnelle peuvent être mis en place pour développer et transmettre une culture de l’entente.

S’il n’y avait qu’un concept à retenir pour la médiation, ce serait en effet “l’entente”. Mais dans quelle mesure représente-t-elle un concept d’avenir ? 

L’entente donne ni plus ni moins aux personnes la possibilité de dialoguer. L’idée, ce n’est pas de dire “vivons les uns avec les autres comme chez les Bisounours”. C’est faire prendre conscience à toutes et tous de notre capacité individuelle et collective à dialoguer autour d’un projet dans lequel nous sommes impliqués. L’entente considère l’autre non pas comme un adversaire mais comme un autre légitime. Et cela change tout car la confiance relationnelle ne se décrète pas. Vous aurez beau concevoir tous les contrats possibles et imaginables, pas sûr que vous parveniez à instaurer de la confiance entre les parties prenantes. L’entente est toujours première. Il faut déjà s’entendre pour pouvoir avancer et ce, peu importe que l’on pense ou non la même chose. Pour moi, il n’y a rien de plus innovant qu’une société dont les membres sont capables de s’écouter, de trouver des solutions… 

Si demain, vous deveniez présidente de la République quelle serait votre première mesure pour faire de l’entente sociale une réalité ? 

Moi présidente, je ne raterais pas une occasion de militer pour l’entente. Et la première action de mon mandat serait sans doute d’inscrire le droit à la médiation dans la Constitution. Je voudrais offrir à tous mes concitoyens la possibilité de dialoguer et de mettre sur la table ce qui dérange, ce qui ne va pas. Je créerais également un ministère de la Médiation et je ferais de l’entente et non de la lutte contre le harcèlement scolaire la grande cause de l’Éducation nationale. Imaginer une culture commune de l’entente ça, ça serait véritablement disruptif ! 

Propos recueillis par Marianne FOUGÈRE

Plume indépendante et vagabonde