Vivre-ensemble : enfin la bonne résolution du problème ?

Vivre-ensemble : enfin la bonne résolution du problème ?

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Le vivre-ensemble apparaît comme la (ré)solution à tous nos problèmes. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment que de vivre-ensemble ?

À la radio, en Une de nos quotidiens préférés, dans la rue ou au bistrot : impossible d’échapper à l’injonction du “vivre-ensemble”. Et, en cette période de bonnes résolutions, il y a fort à parier qu’on le retrouve dans moult vœux de bonne année. Nul n’échappera au “défi du vivre-ensemble”. Certains auront même le courage de faire le “pari du vivre-ensemble”. Que l’on soit en ville ou en campagne, il nous appartiendra cette année encore de brandir le “vivre-ensemble” comme un étendard.

Gare à celles et ceux qui refuseraient de s’y conformer. S’abattra sur eux un opprobre moral bien pire que celui qui attend les sportifs du mois de janvier… portés disparus dès le mois de février ! Le “vivre-ensemble” apparaît comme un impératif catégorique qu’il est risqué – sinon dangereux – de contester. C’est pourtant ce que l’on a décidé de faire dans ce premier décryptage 2024 : vivre dangereusement pour mieux questionner le vivre-ensemble, pour réapprendre à vivre ensemble et, peut-être, mieux vivre ensemble.

Vivre-ensemble : une bien bonne question !

Mais d’abord, qu’est-ce que cela veut dire “vivre ensemble” et, encore plus, “vivre-ensemble”. Vivre, nul besoin, je crois, de vous faire un dessin. Chacune et chacun d’entre nous peut s’en faire une idée assez simple à partir de son expérience de tous les jours. Mais “ensemble” ? Qu’est-ce que cela signifie ? Cette question surgit chaque fois que je prends le métro, c’est-à-dire le moins souvent possible, ce qui ne m’évite pas d’être régulièrement coincée entre deux stations. Comme un soir pluvieux de retour de spectacle où l’angoisse me saisit… Et si je restais pour toujours ici ?! Avec qui finirais-je ma vie ? Trois collégiennes hypnotisées par des vidéos TikTok, une grand-mère très chic du cabas aux oreilles, un chanteur aux faux airs d’Elvis, une poignée de touristes américains et, bien sûr, des hommes en costume… Voilà qui seraient mes derniers compagnons de route : de parfaits inconnus ! Ensemble dans la même galère, sans être pour autant ensemble.  Si une panne électrique sur la ligne 5 ne suffit pas, que faut-il alors pour que nous ayons vraiment un ensemble ?

Cette question n’est pas aussi anodine qu’elle n’y paraît. Sinon elle n’aurait pas obsédé autant la pensée politique moderne. De l’anglais Thomas Hobbes au plus français des philosophes suisses Jean-Jacques Rousseau, en passant par John Locke ou même Machiavel, tous se sont affrontés à la problématique constitution d’un corps politique à partir d’une multitude d’individus. Problématique, car la plupart des penseurs et des philosophes ont appréhendé la question à partir d’un état de “guerre de tous contre tous” pour reprendre la célèbre formule de Hobbes. Pour ce dernier, seul le Léviathan, et l’effroi que ce monstre suscite, pouvait garantir l’unité du peuple. Le prix à payer ? La soumission à un pouvoir absolu… Une solution peu satisfaisante aux yeux de Rousseau, la coercition ne permettant selon lui qu’une unité de façade. C’est pourquoi, en lieu et place d’un contrat de soumission, le citoyen de Genève proposa un contrat d’association et, pour renforcer l’adhésion des citoyens à celui-ci, l’amour des lois que la Religion civile a pour vocation d’entretenir.

Vivre-ensemble : une fausse bonne solution ?

Ce qui est frappant, quand on lit ou relit (tiens, une nouvelle résolution !) les œuvres des penseurs contractualistes, c’est que tous abordent le “vivre-ensemble” comme un problème et non comme une solution. Ce qui est loin d’être le cas dans la bouche de nos politiques actuels. La société se fracture ? Réinsufflons le vivre-ensemble ! Le gouffre intergénérationnel se creuse ? Réapprenons le vivre-ensemble ! Les inégalités territoriales s’aggravent ? Faisons des transports le moteur du vivre-ensemble ! Le vivre-ensemble est bien plus qu’un simple mot : il est LE remède à tous les maux de nos sociétés contemporaines. À condition, toutefois, que toutes et tous nous acceptions d’adhérer aux valeurs partagées qui le sous-tendent…

Et c’est peut-être ici que le bât blesse. Tolérance, respect, bienveillance, politesse, initiative citoyenne : les principes fondateurs de cette nouvelle Religion civile qu’est le vivre-ensemble brillent par leur imprécision. Ce qui se comprend aisément puisqu’il s’agit que tout le monde s’y retrouve. On retient donc les valeurs les plus consensuelles possibles et donc, aussi, les plus vides… Or, si l’injonction à vivre-ensemble n’est pas plus précisée que cela, si elle consiste simplement à embrasser des coquilles vides, ne risque-t-elle pas elle aussi d’être vidée de son sens ? Pire, elle pourrait bien servir à dissimuler un individualisme qui ne dit pas son nom… Et le vivre-ensemble d’être réduit, une fois de plus, au simple fait de vivre les uns à côté des autres…

Vivre-ensemble : notre unique résolution !

Un résultat aux antipodes de l’harmonie tant souhaitée par les chantres du vivre-ensemble. En même temps, est-ce si “grave” ? Est-ce véritablement d’harmonie que la République a besoin ? Ne devrions-nous pas lui préférer la concorde, c’est-à-dire la coexistence pacifique d’êtres libres et singuliers, pouvant tout à fait choisir d’être seuls ou de vivre séparés pourvu qu’ils respectent les lois ? Aussi, chercher à déterminer quelles valeurs sont susceptibles de permettre la communion de tous les citoyens paraît, sinon vain, du moins anachronique tant que les services publics ou les droits-créances subiront, chaque jour un peu plus, affronts et restrictions budgétaires…

Encore faudrait-il le décider… Car, ce n’est pas parce que nous partageons des valeurs ou toute autre chose que nous pouvons vivre ensemble. Bien au contraire ! C’est parce que nous décidons librement de vivre ensemble que nous parvenons à reconnaître le commun, à instaurer entre nous une relation de qualité, à vivre et non plus simplement à être vivant. Le vivre-ensemble n’a, en effet, rien à voir avec les besoins biologiques, physiologiques ou organiques que nous devons satisfaire pour rester en vie. À ces processus, le fait d’être ensemble ou seul n’ajoute rien, pas plus qu’il n’en enlève. Vivre c’est bien plus qu’être vivant. C’est être vivant en se sentant vivant parce que nous avons décidé qu’il n’en serait pas autrement. Et pour cela, difficile de nous passer des autres. Ces autres que nous croisons, par exemple, sur la piste d’un dancefloor le 31 décembre, nous permettent de dépasser notre individualité. Ils rendent possible cette “ivresse dionysiaque” identifiée par Nietzsche qui convertit l’énergie du groupe en force de création.

Aussi, en ce début d’année, et à mi-chemin du défi de janvier, nous ne pouvons que vous souhaiter de faire l’expérience de l’ivresse dionysiaque, de sentir tout ce que vous pouvez être, faire ou initier que ce soit au travers du chant, de la danse ou de toute autre action.

Marianne FOUGÈRE

Plume vagabonde et indépendante