S’imposer ou prendre part à la table des négociations

S’imposer ou prendre part à la table des négociations

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La négociation est devenue une pratique courante. Au risque d’être confisquée et de voir sacrifiées les négociations contributives sur l’autel du conflit.

Négociation entre gouvernement et partenaires sociaux, négociations entre petits et grands, négociations au Parlement, négociations à la maison, négociation salariale, négociation collective, etc. : nous semblons tous et toutes pris d’une boulimie de négociations. Quand ce n’est pas la quête de compromis qui monopolise tous les esprits… La négociation est partout. Par crainte du diktat des décisions unilatérales et, en somme, “de se faire avoir”. Chacun y va donc de son commentaire pour prendre sa vie en main ou, en tout cas, contribuer à trouver la solution qui lui convient pour son travail, son petit confort personnel ou ses relations amoureuses.

Mais, la négociation est nulle part. Car, malgré sa banalisation à outrance, on ne sait plus vraiment de quoi elle est le nom. Dans “négociation”, il y a “négoce”, un terme qui vient du latin negotium. “Occupation”, “travail quelconque”, “charge”, une négociation, nous apprend l’étymologie, n’est jamais de tout repos. Ce qui explique sans doute pourquoi on n’a jamais vu personne “négocier une ligne droite”… D’ailleurs, parler d’une “négociation difficile”, comme le font régulièrement nos journaux, relève presque du pléonasme. Si c’était facile, quel intérêt aurions-nous en effet à négocier ? Négocier suppose de surmonter un obstacle. Comme on le ferait pour “négocier un virage” ou, si nous étions diplomates, pour éviter la guerre. Ainsi, la négociation commence bien là où la violence s’arrête mais elle ne commencerait jamais si le conflit n’était pas déjà là. 

Les négociants

Et, dieu sait, combien le conflit est omniprésent dans nos relations interindividuelles… Pourtant, introduire l’idée de négociation dans le domaine de l’affect n’est pas sans poser problème. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela revient à sous-entendre que tout n’y est qu’affaire d’échange mesurable et quantifiable. Or, on ne négocie ni avec ses enfants ni avec son conjoint. On éduque les premiers, on discute avec le second. Il n’en demeure pas moins, cependant, que l’on négocie entre êtres humains. Essayez donc de négocier avec un virage… Négociation sans raison ne serait donc que pure abstraction.

Mais si nous n’étions que raison, négocier serait-il nécessaire ? Si la raison régnait seule en maîtresse des lieux, le conflit n’aurait pas lieu. Il n’y aurait que des argumentations voire des démonstrations. Point de négociation. Cette dernière en appelle à la raison mais oppose des volontés, toujours particulières. Quand ce ne sont pas les passions et les désirs qui s’imposent à la table des négociations… Négocier ce n’est donc pas en finir avec les conflits et rapports de force en tout genre. C’est simplement les exprimer différemment.

Bras de fer

Aussi, tout négociateur devrait-il comprendre que le conflit n’est pas l’exception mais bien la règle. Rivalité, compétition, méfiance : tels seraient donc les “symptômes” de la négociation conflictuelle. Au cœur de celle-ci, des adversaires qui poursuivent des objectifs opposés pour ne pas dire antagonistes. Leur seul point commun ? Avoir renoncé au conflit ouvert. Mais, aucun camp n’est à l’abri que, en face, la menace d’y recourir ou d’y revenir ne resurgisse. Car, de part et d’autre de la ligne de front, tous les protagonistes sont prisonniers de leur intérêt propre et aucun d’eux ne craindra, s’il le faut, d’agir au détriment des autres.

Il faut dire que l’image qu’ils entretiennent les uns des autres est pour le moins négative et, qui plus est, figée. Difficile, dans un tel contexte, pour la négociation de ne pas tourner à l’affrontement. Les préjugés sont tels qu’elle en devient presque impossible. Bloc contre bloc, des concessions sans contreparties sont arrachées. De coûteuses épreuves de force sont engagées. Car, évidemment, chacun croit dur comme fer à l’évidence de son préjugé.

Le projet pour intérêt

Cette logique qui, à l’issue de la négociation, oppose des gagnants et des perdants occulte toutefois une manière différente d’appréhender les intérêts des uns et des autres. Du latin inter esse, l’intérêt c’est ce qui “est entre”. Ainsi, “comme une table est située entre ceux qui s’assoient autour d’elle”, “comme tout entre-deux [l’intérêt] relie et sépare en même temps les hommes” (Hannah Arendt). Mieux, c’est parce qu’ils nous séparent que nos intérêts nous poussent à négocier. Mais, nous négocierions en vain s’ils ne pouvaient pas, aussi, nous réunir. Tout l’enjeu consiste dès lors à parvenir à rendre nos négociations intéressantes.

Comment ? En faisant rimer négociation et coopération. Car la négociation n’est pas qu’affaire de domination. Elle oscille bien davantage entre affrontement et entente, entre dominante conflictuelle et dominante contributive. Cette dernière transforme les protagonistes de la négociation non pas en adversaires mais en partenaires, mus par l’existence d’un projet à réaliser en commun et la volonté de maintenir dans le temps un lien fort de collaboration. Comprendre les positions, rechercher ce qui les a engendrées, témoigner de reconnaissance sur leur expression : le travail engagé dans le cadre d’une négociation contributive est bien différent du processus qui régit son homologue conflictuelle. On négocie non plus la victoire mais le moins perdant possible. Car l’objectif demeure de participer à un projet relationnel. De participer à le coconstruire. Et, au besoin, on n’hésitera pas à solliciter l’aide d’un médiateur professionnel. Son rôle ? Lever les blocages sur les représentations arrêtées et autres préjugés. Il soutiendra la réflexion des parties sans lui-même préjuger de l’issue de la négociation.

 

Marianne Fougère
Plume indépendante et vagabonde